Les tours de Notre Dame ne sont pas les seules à gratter le ciel parisien. Ses concurrentes sont moins belles mais plus nombreuses, surtout en périphérie de la capitale. Bien sûr il y a la Défense, premier quartier d'affaire d'Europe. Un monde qui, depuis le Covid, n'est plus que l'ombre de lui-même avec un taux de vacances extrêmement important et des prix qui se sont effondrés. Ces tours symbolisent l'ubris du capitalisme mondialisé. Coupé du vivant de surcroit puis-ce que ce quartier a été construit sur une dalle. C'est là que se trouve le huit clos raconté dans une dystopie baptisée La Cathédrale des Ombres, où Marie-Célie Guillaume nous emmène à la fois dans les sous sols et les grattes ciels. Un monde qu'elle connait bien car pendant 7 ans, elle a dirigé Paris la Défense. Aménagement, exploitation et rayonnement international de ce quartier qui se cherche.
Dans La Cathédrale des ombres, Marie-Célie Guillaume, ancienne directrice générale de Paris La Défense, livre un roman où fiction et réalité se croisent dans les coulisses du plus grand quartier d'affaires d’Europe.
Derrière l’image des gratte-ciels et des bureaux, Marie-Célie Guillaume dépeint une verticalité sociale frappante, qu’elle résume ainsi : « Les puissants en haut et en dessous les oubliés ». Elle explique que la partie visible du quartier a été soigneusement conçue et représente «le pouvoir et l’argent». Selon elle, La Défense est « construite par des hommes et pour des hommes, pour leur donner un terrain de jeu pour leur ego ». Mais cette façade cache une autre réalité. Sous la dalle, qu’elle qualifie de « pas soignée, pas traitée, négligée », vivent les « oubliés de la société».
L’autrice confie avoir appris à aimer La Défense « par sa face d’ombre», celle des sous-sols. Elle évoque notamment un sans-abri surnommé Picasso, qui a vécu plus de quinze ans sous la dalle et qui repeint les murs avec des restes de peinture. Elle souligne aussi le paradoxe d’anciens cadres, qui, après des « accidents de vie », se retrouvent aujourd’hui à habiter « sous la tour où ils travaillaient avant ».« La Défense ce n'est pas que la belle histoire qu'on veut raconter et que j’ai moi même racontée,» déclare-t-elle.
Son regard critique s’étend aussi aux politiques publiques. Elle qualifie de « scandale administratif et politique » et de « fiasco du point de vue immobilier » l’expulsion des habitants de logements sociaux pour permettre la construction de tours jumelles. Ce projet, le Hermitage Plaza, était porté par Emin Iskenderov, un promoteur immobilier russe, soutenu par l'Etat français avant d'être abandonné en 2021. Elle dénonce que « la vie des habitants a été fracassée pour rien », soulignant que ce projet ne verra probablement jamais le jour.
La Défense ce n'est pas que la belle histoire qu'on veut raconter et que j’ai moi même racontée.
Marie-Célie Guillaume rappelle que l’État a retiré aux communes de Puteaux, Courbevoie et Nanterre leur pouvoir d’aménagement, en confiant la gestion du quartier à un établissement public placé sous l’autorité du département des Hauts-de-Seine.
« Ce quartier futuriste du XXe siècle construit sur dalle, tout de béton et de verre, dans lequel l’homme du XXIe tente péniblement d’injecter un soupçon de nature », écrit Marie-Célie Guillaume dans son ouvrage La Cathédrale des Ombres. Elle déplore ce qu’elle appelle un « urbanisme sur dalle » et va jusqu’à qualifier La Défense d’« une des villes les plus artificielles qui soient ». Malgré les efforts pour réintroduire la nature, la dalle reste omniprésente et la végétation, bien que présente, demeure contrainte. Dans son livre, elle fait de La Défense une allégorie d’une société industrielle « coupée du vivant et de la nature », concluant que « notre modèle de société est dans une impasse ».
Si le roman dresse ce constat, il n'en demeure pas moins qu'il véhicule une note d'espoir et laisse entrevoir la possibilité de changer les choses. Pour l'autrice de La Cathédrale des ombres, cela ne peut venir que « des interstices des parties obscures de notre société ». Elle décrit dans son livre une communauté souterraine, une « société parallèle », qui cherche à « réinventer une nouvelle manière de vivre ensemble ».« Je crois qu'il faut essayer autre chose et que la révolte passe par la redécouverte des vertus de l’amour. » annonce-t-elle.
Elle s’oppose à certaines initiatives qu’elle juge inefficaces, comme l’idée d’y installer des ministères, dans l’optique d'une décentralisation : « La décentralisation est une absolue nécessité, mais pas en passant de boulevard Saint-Germain à La Défense.» À l’inverse, elle pense que « pour réinventer La Défense, il faut y amener de la vie, de la culture, des jeunes, des écoles, et développer plus de logements, plus de mixité d’usage. » Pour les 20 000 habitants du quartier, La Défense «c'est assez magique» avec une piétonisation, une connexion directe à Paris et des vues spectaculaires. « Pour qu’un quartier dédié au pouvoir revive, il faut le réinvestir par la culture », explique Marie-Célie Guillaume.
Je crois qu'il faut essayer autre chose et que la révolte passe par la redécouverte des vertus de l’amour.
Elle compare La Défense à Marunouchi, le quartier d’affaires de Tokyo. Le quartier devrait s'en inspirer : « Tokyo ce n’est pas beau, mais il y est apporté un soin énorme aux usages. La Défense c’est beau, mais ce n’est pas du tout fonctionnel. » Contre ce « mono fonctionnalisme » typique du quartier, l’ancienne directrice de Paris La Défense affirme qu’il faut « sortir de cette juxtaposition de tours où les gens arrivent le matin et ne se parlent pas ». « Il faut transformer la manière dont on crée les espaces urbains », conclut-elle.
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