Metz
Toutes les deux semaines, Sophie Robert-Hayek, chercheuse en théologie à l'Université de Lorraine, rejoint RCF Jerico Moselle dans l'émission Entre midi, entre Lorrains.
Ce lundi 5 mai, elle nous parle d’une application possible de l’intelligence artificielle pour l’étude des textes anciens qui est réalisée à l’Université de Lorraine.
Retrouvez sa chronique juste ici.
Aujourd’hui nous allons parler de l’analyse de la transmission des textes de la Bible en latin grâce à des méthodes informatiques.
Non, il y a beaucoup d’autres traductions en latin que celle de la Vulgate. Finalement, dès la mise en circulation du texte en grec, il y a eu des efforts de traductions de celui-ci en latin, la langue commune à l’Empire Romain d’Occident.
Ces traductions, on les appelles Vieilles Latines ou Vetus Latina, parce qu’elles seront normalisées par la suite par Jérôme de Stridon, pour donner la Vulgate, qui est considérée encore aujourd’hui comme la traduction standard en latin.
C’est justement la question que se pose la recherche. Globalement, les chercheurs s’accordent sur cela.
Il y a eu au départ une première tradition qui viendrait d’Afrique, et qui serait très proche des versions qu’auraient utilises les Pères de l’Eglise Tertullien et Cyprien. Le Codex par excellence qui représente cette tradition est le Codex Palatinus, conservé à Trente, qui fait parti des parchemins pourpres : son parchemin a été teint en pourpre, et ses lettres sont écrites en argent.
Vous avez ensuite une deuxième tradition, qu’on appelle Européenne, et qui aurait émergé en Italie, et qui nous est revenu dans une dizaine de manuscrits.
Puis encore une autre tradition, qu’on appelle la Tradition Mixte, qui contient les textes qui sont intermédiaires entre les traductions Vieilles Latines et la Vulgate.
La grosse question que pose la recherche c’est l’indépendance entre ces traductions : est-ce qu’il y aurait eu une celle traduction qui vient d’Afrique et qui aurait été transformée en Europe ? Ou bien les traductions auraient émergé de manière indépendante en Afrique et en Europe ? Et finalement, est-ce que ces chaînes de transmission sont les mêmes pour l’ensemble des livres bibliques ?
Il n’y a pas de consensus. Dans mes recherches, je m’intéresse tout particulièrement à l’Evangile de Jean, et vous avez deux théories qui s’affrontent : la première est portée par Bonifatius Fischer, qui a été la figure majeure dans l’étude la Vieille Latine au XXe siècle car il a fondé l’institut de recherche sur la Vieille Latine, et qui va vous dire que vous avez une seule traduction Européenne qui a évolué au fil des siècles et des continents.
Et vous avez un autre chercheur, qui a d’ailleurs pris la suite de la direction de l’institut, Burton, qui va suggérer une autre théorie : celle du fait que pour l’Evangile de Jean vous n’avez pas une seule traduction mais deux en parallèles. Vous avez alors quatre groupes de texte : le texte Africain, le texte Européen 1, le texte Européen 2, et le texte Mixte. Pour faire cela, il va comparer dans les manuscrits comment sont traduits différents termes : par exemple pour rendre compte logos, vous allez avoir en fonction des groupes de textes ”verbum” ou ”sermo”. C’est assez convaincant.
Mes recherches vont justement tenter de répondre à cette question en comparant la probabilité de chacune des hypothèses grâce à une approche statistique : j’ai aligné l’ensemble des 7 manuscrits presque complets disponibles de la Vieille Latine dans Jean, et j’ai fait une comparaison systématique des points en communs et des divergences des textes. De là, ça permet de définir une distance entre les différents manuscrits. Puis j’ai appliqué un algorithme qui s’appelle la classification hiérarchique ascendante, c’est, de manière simplifiée, un algorithme qui permet de faire des groupes et de grouper entre eux les manuscrits qui se ressemblent.
Le résultat final a été la démonstration que la théorie de Houghton semble la plus correcte. Vous avez trois groupes qui se dessinent : le texte Africain, puis une première tradition Européenne qui lui est proche. Puis vous avez une deuxième tradition Européenne qui émerge, séparée de la première, et qui va être beaucoup plus proche du texte mixte et du texte de la Vulgate.
Il semblerait bien si l’on s’en tient aux chiffres !
Un autre résultat intéressant que mes recherches ont pu souligner c’est ce qu’on appelle les "changements de texte" : vous pouvez avoir un manuscrit qui appartient a plusieurs groupes de texte. J’ai pu démontrer avec ma méthode que c’est le cas du Veronensis, un manuscrit conservé à Vérone et qui est lui aussi écrit sur un parchemin pourpre. On voit qu’au milieu du chapitre 9 de Jean le scribe a change de type de texte, et au lieu de se baser sur l’Européen le plus près du texte Africain, il a changé de catégorie pour se rapprocher des textes mixtes. Le chapitre 21, la finale de Jean, se réaligne ensuite avec le texte Africain.
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