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"Un soir d'été", un roman pour retrouver l'innocence de l'adolescence

Un article rédigé par Armelle Delmelle - 1RCF Belgique, le 31 janvier 2024 - Modifié le 31 janvier 2024
Tu m'en liras tantPhilippe Besson, Un soir d'été

Comment oublié l’été de ses 18 ans quand un ami disparait lors d’une soirée ? Et comment apprendre à vivre avec cette disparition quand des années plus tard on pense encore le croiser dans la rue ? Dans un roman basé sur un évènement vécu, Philippe Besson nous emmène au moment où la jeunesse cesse d’être insouciante. Rencontre avec l’auteur. 

Philippe Besson ©Charlotte KrebsPhilippe Besson ©Charlotte Krebs

Cette histoire est inspirée d'un évènement qui vous est arrivé, était-ce un besoin pour vous de la mettre sur papier ? 

Depuis longtemps, je suis hanté par les disparitions et par les gens qui ont été dans ma vie à un moment et qui n'y sont plus parce que je suis dévoré par le manque. Au fond, j'ai l'impression qu'il y a l'écriture sert à contrer la disparition, l'absence. Elle sert aussi à rendre vivant les morts et à rendre présents les absents.  

C’est la même logique qui me guide là. Avec sans doute ajouter à cela une forme de culpabilité, parce que nous avions effectivement 18 ans, nous étions insouciants et on ne s'est pas rendu compte que peut être un drame se jouait sous nos yeux. Et quand nous l'avons compris, c'était trop tard. Alors, il faut vivre avec ce trop tard qui ne m'a jamais quitté.  

Il faut sans doute la patine du temps pour que, au fond, ça sorte du champ du réel pour rentrer dans celui de la littérature. C'est-à-dire celui de l'histoire qu'on raconte ou du miroir qu'on tend. Ce qui m'intéressait, c'était moins de raconter ma propre histoire que de raconter quelque chose qui ait du sens pour ceux qui lisent. On a tous eu 18 ans, on a tous été dans ces moments joyeux et inconsistants. Et en même temps, nous avons tous à un moment dans nos vies été confrontés à une situation qui change la donne, à une épreuve ou à un deuil. Qu'est-ce qu'on en fait ?  

Est-ce que c'est 100% biographique ce livre, quelle est la part de fiction dedans ? 

Dans les récits biographiques que j’ai publiés, il y a toujours une part romanesque.  Puisque vous ne pouvez pas faire abstraction de qui vous êtes quand vous écrivez un roman. Dans tous les romans que j'ai écrits jusque-là, j'étais déjà présent, mais en filigrane.  

Et dans les textes autobiographiques que j’ai publiés, il y a toujours une part de fiction À la fois parce que justement, on essaie de se détacher du strict réel et du strict récit/ Mais aussi parce que c'est un exercice de mémoire. La mémoire peut vous jouer des tours, donc il y a des choses qui sont forcément reconstituées.  

Et puis, il y a la part de comment vous racontez l'histoire. Moi, ce qui m'intéressait, c'était que le lecteur soit partie prenante de ce roman. Il fallait que l’on sente l'épée de Damoclès qui pèse au-dessus de nos têtes. 

Est-ce que vous avez dû confronter vos souvenirs avec les autres membres du groupe pour écrire ce livre ? 

On en a parlé avant, mais je ne voulais pas non plus en parler de trop. Je voulais me sentir libre de raconter l’histoire à ma manière. C'est-à-dire qu'il fallait pouvoir à la fin revenir dans le pur exercice littéraire. Ce n'est pas un témoignage ou une reconstitution. Je veux raconter une histoire. Donc, je les ai sollicités pour quelques détails dont je n'étais pas complètement certain, mais après, je voulais avoir la liberté de raconter à ma façon. 

Cet été-là était vraiment une séparation pour vous entre l'adolescence et la vie adulte et le reste de votre vie ? 

C'est la fin de l'innocence, de l'insouciance. Vous avez 18 ans et au fond, vous fichez d'à peu près tout ce qui compte, c'est d'aller à la plage, d'aller au bar et puis d'aller danser en discothèque. Ce sont vos seules préoccupations et vous pensez qu'au fond tout est possible et que rien n'est grave.  Vous avez ces amis qui sont là, qui vous rassurent, qui sont comme des repères et puis vous avez des nouveaux qui arrivent dans la petite bande et que vous accueillez comme si vous les connaissiez depuis toujours. Ce sont des moments merveilleux. 

Et puis tout d'un coup, avec cette disparition qui advient, on est brutalement ramené au réel. Et le réel, qu'est-ce que c'est ? C'est d'abord que la vie ça se termine. On est confronté à cette idée de finitude. On n'a jamais pensé à la mort avant et d’un coup, c'est devant vous donc. Ça vous donne la vraie valeur de la vie, d'une certaine manière. Parce que quelqu'un n'est plus là en un clin d'œil. Le temps d'une chanson, l'autre s'en va. Donc oui, ça nous a précipité dans l'âge adulte, ça nous a fait voir les choses totalement différemment après. 

Peut-on passer ses dix-huit ans en gardant cette insouciance ou forcément, on l'a déjà perdue et on se rend compte des choses ?  

Il n'y a pas d'âge pour la perdre ou pour la garder. Vous avez des gens qui vont rentrer brutalement dans l'âge adulte, à quinze ou seize ans, parce qu'ils vont vivre un drame.  En tout cas, on a l'idée que son enfance est terminée. Et puis vous avez des gens qui vont garder une âme d'enfant des années. Si vous n’attachez pas d'importance aux choses, vous pouvez rester innocent et enfant très longtemps. Avoir la majorité ne signifie pas grand-chose dans ce domaine-là, je pense. 

Est-ce que vous auriez aimé cette innocence perdre plus tard ? 

Oui Parce que j'ai été très heureux et très joyeux dans mon adolescence. J'ai eu donc dix-huit ans, dans les années quatre-vingt, il n'y avait pas internet, les réseaux sociaux, les chaînes infos. Le fracas du dehors nous arrivait de manière très atténuée et très amortie. Sans doute que la planète allait très mal et on ne s'en rendait pas compte parce qu'on ne lisait pas les journaux, on regardait la peine de la télévision. 

Aujourd'hui, quand vous avez dix-huit ans, vous êtes branché non-stop sur votre téléphone portable, parce que vous recevez des notifications, sur les chaînes info, il y a une polémique par jour, sur les réseaux sociaux, tout le monde a des avis sur tout, etc. On ne peut être jamais tranquille, jamais être serein. Nous étions très préservés et moi ça me plaisait beaucoup. Je serais bien resté plus longtemps dans cette innocence, dans cette indifférence aux soubresauts du monde extérieur. Une fois que c'est fini, vous ne retrouverez plus jamais cela.  

Les smartphones, toute cette technologie, elle aurait quand même été bien pratique pour pouvoir retrouver votre ami disparu. 

Oui, absolument. À la fois, j’aimais bien ce moment où on était un peu préservés. Mais là où vous avez raison, c’est qu’à l'époque ces disparitions ne faisaient l'objet d'aucune recherche sérieuse. Aujourd'hui, quand vous avez une disparition, elle est mentionnée partout, vous avez parfois des alertes quand il s’agit d’un enlèvement. Ça change la donne peut-être, effectivement. Il y a des gens qui sont retrouvés parce que c'est public, beaucoup plus 

Effectivement, il y a des travers et des formidables atouts à la technologie. Donc oui, c'est vrai que sans doute aujourd'hui, la disparition se serait probablement terminée d'une autre manière. 

Quarante ans après les événements, quels sont les sentiments qui vous traversent quand vous y repensez ? 

En fait, c'était un beau moment. Parce que d'abord, je raconte beaucoup notre joie d'être ensemble. Donc se souvenir du bonheur, c'est encore du bonheur. Ça m'a fait du bien de replonger un peu de géographie de l’Ile de Ré que j'aime tant, d’essayer de raconter cette sensation du soleil sur les peaux, du sable qui colle aux chevilles. Tout ça, c'est très agréable, de renouer avec ces sensations et puis de renouer finalement avec sa jeunesse.  

Et puis en même temps, évidemment que c'était profondément douloureux parce que j'ai été revivre cet événement traumatisant. J'ai balancé en permanence dans l'écriture entre ces deux sensations, mais qui sont nécessaires pour écrire. C'est-à-dire que si vous voulez écrire bien le bonheur, il faut être bien, et si vous voulez bien écrire le traumatisme, il faut être un peu traumatisé. 

Si vous pouviez revoir cet ami qui dans le livre disparaît, qu'est-ce que vous lui diriez ? 

Tu m’as tellement manqué. Tout tient dans cette phrase-là. Il y a la culpabilité, la douleur de l'absence. Et puis cet élan, l'idée, c'est de dire aux gens qu'on les aime quand on dit ça. L'essentiel serait dit dans cette phrase-là.  

 

Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans le podcast de Tu m'en liras tant. 

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