La philosophe Sophie Galabru revient avec un troisième livre intitulé Nos dernières fois et s’interroge sur la nostalgie de ses moments qu’on ne vivra plus. Nous l’avons rencontrée pour en parler avec elle.
Jusqu'à mes 30 ans, je vivais ma vie sur un mode devenu assez populaire, celui de vivre chaque instant comme si c'était le dernier. En pensant que j'allais intensifier ma vie, la rendre plus belle, maximiser mon temps. Et je me suis rendu compte qu’au contraire, cela me plaçait dans un sentiment d'urgence, une fébrilité, une inquiétude. Et cette attitude pouvait même me gâcher un peu le présent.
En m’apercevant que cette espèce de nostalgie anticipative, cette conscience toujours très lucide et un peu trop précise du temps qui passe, que chaque instant est un peu le premier et le dernier, tout cela me décentrait du présent et me rendait parfois assez triste. Donc je me suis dit qu'il y avait un sujet là-dessus, sur ce type-là de nostalgie, et j'avais envie de la surmonter.
Ça arrive, mais beaucoup moins. C'est-à-dire qu'à force d'explorer le sujet, en analysant pourquoi j'étais comme ça, ce qui se passait, quel était le rapport au temps cultivé - c'est un rapport au temps qui est très quantitatif. Je le compte, je l’énumère, je le mesure - je me rendais compte que ça contribuait à cette nostalgie de l'irréversible et à abîmer la beauté du présent.
En comprenant, on arrive parfois à se délivrer, ce n'est pas toujours automatique. On a beau analyser, théoriser, il faut parfois aussi une certaine énergie psychologique pour être efficace et vraiment changer. Mais là, la compréhension et l’écriture ont eu un effet assez apaisant et ont clôturé quelque chose de ce rapport au temps. Et c'est vrai que dans tous mes livres, j'essaye d'aller vers la légèreté.
Oui, c'est ça l'irréversible et ça n'a rien à voir avec la mort. Je tiens à le préciser, même doué d'un temps infini, même immortel, chaque moment ne se refera pas deux fois. Chaque moment est unique. Ce qui est à la fois poétique, gage de beauté, et en même temps source d'inquiétude, parce qu'on a l'impression que peut-être, il faut en faire quelque chose. En tout cas, ce qui a été fait ne peut pas se refaire.
C’est la dernière fois la plus absolue. On peut quitter quelqu'un et se retrouver, beaucoup de choses sont relatives, celle-là est absolue. En tout cas, c'est un adieu au corps, aux choses matérielles. C’est irréversible et irrémédiable. C'est tragique en un sens, parce qu’on est sidéré par la disparition physique de quelqu'un, sa soustraction du monde. Ce n'est pas simplement, d'ailleurs, un corps, c'est toute une vision du monde qui disparaît. C'est toute une histoire. Et c'est toute une autre temporalité aussi qui enrichissait la nôtre.
En revanche, nous ne savons pas ce qu'il y a après la mort. Il y a peut-être une subsistance. Même si on n'est pas croyant ou qu'on n’émet pas cette hypothèse, les liens ne se défont pas par la mort. On reste attaché, fidèle, relié à ceux qui sont partis. Et on entretient ces liens par les souvenirs, par l'habitude, par les rites, par l'héritage, parfois par sa progéniture aussi.
Oui, ou en renaviguant dans les moments vécus. Parfois, nous revient une réminiscence brutale des conversations, des moments, parfois des odeurs. Ce sont les odeurs, les sensations, les images qui sont comme des rails nous reconduisant vers ces atmosphères ou ces souvenirs.
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