Poésie Musiques et Chansons. De la Renaissance à la fin de l'Ancien Régime.
Continuons notre voyage dans le temps, continuons de conjuguer notre poésie française mise en musique par nos compositeurs classiques, nos chanteurs du XXème siècle, comme on feuillète un album d'images, images sonores. Partageons ce langage de l'invisible de 1400 à 1700, de cette fin du Moyen Âge à la fin de l'Ancien Régime.
Photo Philippe Soler
La poésie de Charles d’Orléans
C'est par la plume de quelques musiciens français, comme Claude Debussy ou Francis Poulenc, que la poésie de Charles d’Orléans sera embellie musicalement. Poulenc choisira une prière dédiée à la Vierge Marie, prière pour demander la paix, prière en forme de Ballade. C'est en pleine guerre de cent ans que Charles d'Orléans écrira ce poème magnifique, et c'est à la veille de la seconde guerre mondiale que Francis Poulenc se tournera vers ce texte pour l'habiller d'une musique poignante. Le désarroi intérieur de Poulenc rejoindra à son sommet la poésie de Charles d'Orléans. Et puis Debussy vêtira de modernité la poésie de Charles d’Orléans. En fin connaisseur, en fin lettré, il se fera résolument moderne avec une écriture très poussée sur le plan du contrepoint, écriture parsemée de quelques cadences dans le style renaissance. La poésie de Charles d'Orléans magnifiée par cette modernité musicale naissante. Un coup de Maître !

Autour de 1500 la poésie emprunte d’autres chemins.
Au cours du XVIème siècle, des genres inédits vont apparaître avec une littérature de circonstance. Le français va conquérir sa place, au détriment du latin, l'imprimerie va naître, les esprits vont s'affranchir de la chrétienté, on célébrera les satisfactions terrestres, l'affrontement des individualités, l'homme dans toute sa singularité, et dans le domaine musical les chansons dites « de la Renaissance » connaîtront une extraordinaire diffusion. On y célébrera l'amour qu'il soit galant ou leste, la plaisanterie, la vie quotidienne, les bavardages, la paillardise abritée musicalement sous une extraordinaire richesse polyphonique, un jeu serré d'entrées et de réponses édulcorant quelque peu le côté polisson du texte.

Clément Marot à la Cour de François 1er.
Et nous arrive Clément Marot, un poète charnière de cette époque, intime de François 1er. Marot saura l'art du badinage, l'art de dire des futilités avec une richesse de nuances, d'arrière-plan, une liberté spirituelle d'une ingéniosité brillante. Les femmes, les maris trompés, les moines seront son terrain favori. L'amour également, l'amour magnifié au travers d'une femme, amour imparfait nourri de rêveries entretenues, de désir insatisfait, idéalisé par une marquise, Anne d'Alençon. Elle sera sa muse et peu importe la nature de leur relation, l'essentiel étant ce qu'il nous restera d'eux à travers la poésie. Anne jouant de l'épinette, Anne me jetant la neige que le jeune Maurice Ravel mettra en musique. Le temps sera comme suspendu. La place de Marot est cruciale dans l'histoire de la poésie. On se doit de le considérer comme un passeur entre le Moyen Âge et les générations à venir.

Quand vous serez bien vielle. Carpe Diem.
Elle s'appelait Hélène, Hélène de Surgères. Elle entrera à la cour du Louvre en 1566 en tant que dame d'honneur de Catherine de Médicis. Un jour elle croise le regard d'un poète, Ronsard. Celui-ci tombera amoureux fou d’elle. Il a cinquante ans passés. Elle, tout juste la vingtaine. Peu importe il lui fera une cour assidue. Mais la belle Hélène restera de marbre. Ronsard en sera quitte pour sept ans d'amour platonique, sept ans d'amour idéalisé, magnifié par la littérature. En 1578, il compose quelques sonnets pour sa belle Hélène. Il veut une dernière fois la séduire en lui peignant les conséquences qu’auraient un refus de sa part, à ses avances. Sa demande sera d'une grande originalité il nous donnera une image peu flatteuse de la femme courtisée. La nostalgie, la cruauté, la fuite du temps, avec comme morale l'invitation à profiter de l'instant présent, afin de ne rien regretter. La scène sera peinte avec une grande précision et notre poète, quoique déjà mort, sera bien présent dans ses vers, allant même jusqu'à faire l'éloge de sa poésie. Par ce sonnet, Hélène accédera à l'immortalité.
Quelques Marquises, Margottons, Bécassine et autres bergères.
Corneille se vengera d'une Marquise dont il ne pourra obtenir les faveurs en lui écrivant des stances d'une cruauté qui iront rejoindre celle de Ronsard. Brassens ne pourra s’empêcher de mettre ce texte en musique. « Le temps aux plus belles choses se plait à faire un affront et saura faner vos roses comme il a ridé mon front »
Et puis quelques chanteurs du XXème siècle se tourneront vers les chansons populaires de l’Ancien Régime, les remettant au gout du jour. Yves Montand nous chantera Gabrielle Destrées, cette Marquise favorite du Roi Henri IV, morte au matin du 10 avril 1599, ce roi qui a fait battre tambour. Un texte magnifique, des mots d’une simplicité poignante, touchante.

Et puis, qui peut prétendre ignorer l'aventure de ce prisonnier à Nantes, prisonnier que personne ne va voir, hormis la fille du geôlier. Selon la version la plus communément admise, ce prisonnier serait un homme d'état connu pour son goût des intrigues politiques, un frondeur de la première heure. Jean-François Paul de Gondi, Cardinal de Retz. La fille du geôlier lui portera à boire et à manger, cette fille qu’Edith Piaf incarnera entourée des Compagnons de la Chanson.

Et enfin Bécassine, une figure qui a une grande place dans l'imaginaire populaire français. Bécassine c'est la petite blonde, celle qui ne comprend pas grand-chose, la petite provinciale naïve, la fille du peuple, celle qui fera les choix du cœur et non ceux de la raison. En 1969, Georges Brassens la célèbrera dans une chanson d'une perfection absolue. Sa Bécassine sera d'une beauté telle quelle attirera tous les amoureux, rêvant de joindre à leur blason une boucle de sa toison, les seigneurs, les gros bonnets, les grands personnages, les cupidons à particules. Brassens connaît très bien ses classiques et dans certaines de ses chansons il se réclamera d'une écriture moyenâgeuse à l’image des fabliaux. A ce niveau de perfection on ne pourra que rendre les armes. Oui, il pourra arriver à la chanson française de rejoindre notre poésie dans ses formes les plus nobles.
Poésie, musiques et chansons. Acte 2/8 « De la Renaissance à la fin de l'Ancien Régime.
Samedi 19 juillet à 16h, dimanche 20 juillet à 00h et 20h. Philippe Soler.


La poésie serait le langage de l’invisible, le mariage du conscient et de l’inconscient, l’art de suggérer. Un poème pourra faire surgir en nous des images, des couleurs, et parfois même, un parfum. Feuilletons ensemble l’album sonore de la poésie française, partons à la découverte de ces auteurs compositeurs interprètes, qui vont s’emparer de ces mots, se les approprier afin de réécrire la partition, défiant par là même, la musique originale, la musique interne d’un poème.
