Muganga - Grande première en présence du Dr Mukwege et du Dr Cadière à Louvain-la-Neuve
Ce mardi 30 septembre, plus de 1.000 personnes ont répondu à l’appel de l’asbl Comequi pour soutenir le film mais surtout la mission des soignants des femmes violées dans la guerre des minerais en cours dans l’est du Congo. L’association Comequi est active au Kivu depuis 2008 et développe des projets solidaires dans la même zone d'action que l'hôpital de Panzi dirigé par le Dr Mukwege.
Muganga le film« Muganga », ça veut dire en swahili : Celui qui soigne. Alors ça peut être tout aussi bien un infirmier qu'un médecin, mais donc c'est celui qui soigne en swahili.”, explique d’emblée le docteur Cadière.
L’Alliance de deux chirurgiens muganga
Denis Mukwege, médecin congolais, pasteur et Prix Nobel de la paix, soigne — au péril de sa vie — des milliers de femmes victimes de violences sexuelles dans son hôpital de Panzi dans l’est de la République démocratique du Congo. Sa rencontre en 2011 avec Guy Cadière, célèbre professeur belge de chirurgie abdominale, redonne un souffle à son engagement.
Les deux personnages principaux du film “Muganga” étaient présents à la grande première du film à Louvain-la-Neuve ce mardi 30 septembre soir. Le docteur Mukwege était en visioconférence depuis Kinshasa tandis que le docteur Cadière était présent à l’Aula Magna et au cinéma Pathé.
Enfant, le Dr Mukwege accompagnait son père, un pasteur pentecôtiste, lorsqu'il rendait visite aux membres malades de la communauté. C'est ce qui l'a incité plus tard à devenir médecin, car il s'est rendu compte que la prière ne suffisait pas à guérir ceux qui souffraient. Il a décidé de se spécialiser en gynécologie et en obstétrique après avoir constaté que les patientes de l'hôpital de Lemera souffraient de soins médicaux insuffisants, ce qui entraînait des complications lors de l'accouchement, telles que des fistules et des prolapsus.
C’est lors d'un voyage en Belgique que Denis Mukwege rencontre Guy-Bernard Cadière, spécialiste des techniques de chirurgie minimal invasive, notamment la laparoscopie. Il s'est immédiatement montré très enthousiaste à l'idée d'utiliser cette technique dans son hôpital, à Panzi. C'était la solution pour le traitement des lésions profondes dans des conditions sanitaires difficiles.
L’hôpital de Panzi
L’hôpital Général de Référence de Panzi, établi à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo (RDC), a été fondé en 1999 par le Docteur Denis Mukwege. Cet hôpital est spécialisé en obstétrique, en pédiatrie, en médecine interne, en nutrition et en chirurgie générale et spécialisée. 34 médecins y travaillent, dont 12 chirurgiens, pour une équipe totale de 260 personnes. L’Hôpital Général de Panzi est également le centre de stage et de formation des étudiants en Médecine de la Faculté de Médecine de l’Université Évangélique d’Afrique (UEA).
Le Dr Mukwege et son équipe de l’hôpital et de la fondation panzi ont aidé à soigner plus de 87 000 victimes de violences sexuelles depuis 1999. Et cela ne se calme pas. On soigne encore 150 femmes chaque mois.
Le viol comme arme de guerre des minerais
L’acteur qui joue le rôle du docteur Mukwege dit: « Chaque femme violée, je l'identifie à ma femme. Chaque mère violée, je l'identifie à ma mère. Et chaque enfant violé, je l'identifie à mes enfants. »
S’exprimant depuis Kinshasa, le Dr Mukwege remercie les participants à la première de se mobiliser en faveur du combat contre ces viols sexuels. Il explique : « La population ne supporte plus de voir le viol utilisé comme arme de guerre. Ces actes sont commis avec une telle barbarie que les blessures que nous soignons sont souvent indescriptibles. Il est très difficile de transmettre une image fidèle de cette réalité. Mais à travers un film de fiction, je suis convaincu que nous pourrons toucher un public plus large, notamment ceux qui, jusqu’ici, n’avaient pas accès aux moyens que nous avons utilisés pour témoigner de ces drames vécus à l’est de la République démocratique du Congo. »
Le Dr Mukwege répète que toutes ces atrocités se déroulent sous les yeux des habitants. Il poursuit : Ce chaos, aussi cruel soit-il, est extrêmement lucratif. Le viol est devenu une arme bon marché, et le corps des femmes, un véritable champ de bataille.
La guerre qui ravage la RDC n’est ni ethnique, ni religieuse. C’est une guerre pour le contrôle de ressources stratégiques — en particulier le coltan et les terres rares, indispensables à l’industrie électronique. Cela, tout le monde le sait. Et pourtant, ce contrôle aurait pu se faire autrement.
Le peuple congolais, en particulier celui du Kivu, ne profite en rien de ces richesses. Ils ne mangent pas de coltan. Si vous interrogez les femmes de cette région, elles vous diront : Nous voulons la paix pour pouvoir travailler, nourrir nos enfants, les éduquer, les envoyer à l’école.
Je suis persuadé qu’un autre chemin est possible. Il est tout à fait envisageable d’extraire ces minerais sans infliger autant de souffrances à la population. »
Commerce équitable
Thierry Beauvois, président de l’asbl Comequi (abréviation de commerce équitable), a coordonné l’organisation de cet événement. Il a dit : « ce soir, nous avons le grand plaisir et l'honneur de vivre l'avant-première belge du film Mugunga, un film qui retrace les parcours exceptionnels du docteur Mukwege et du docteur Cadière. Nous sommes actifs au Kivu depuis 2008 et nous œuvrons dans la même zone d'action que l'hôpital Panzi du docteur Mukwege. »
Comequi soutient les caféiculteurs en améliorant la production, en favorisant les coopératives et en promouvant une agriculture équitable et biologique. Elle développe aussi des activités génératrices de revenus et renforce les capacités locales par la formation dans les écoles et associations rurales.
Une sensibilisation belge et européenne
Co-Vedette du film « Muganga », le docteur Cadière explique : « Ce film est essentiel parce qu’il aborde un sujet largement ignoré. On parle beaucoup, et à juste titre, des drames en Ukraine ou à Gaza. Mais il y a une tragédie encore plus ancienne, qui a déjà fait plus de six millions de morts en près de trente ans : celle de l’est de la République démocratique du Congo. Et pourtant, on en parle à peine. Pourquoi ce silence ? Parce que cette région regorge de ressources précieuses — diamant, coltan, terres rares — indispensables aux technologies de l’information et de la communication. Ceux qui exploitent et pillent ces richesses n’ont aucun intérêt à ce que cela se sache. Ils préfèrent que cette guerre reste invisible, loin des regards et de la conscience du monde.
Le chirurgien belge poursuit: « Ce film a donc une valeur particulière : il crée un lien, un pont entre nous, Européens, et une réalité qui semble lointaine — à 10 000 kilomètres — mais qui, en vérité, nous concerne directement. Ce qui se passe là-bas n’est pas seulement une affaire africaine. C’est aussi notre histoire, notre responsabilité, et cela devrait nous interpeller profondément. »
Le docteur et pasteur Mukwege conclut son intervention : « Je pense que le viol à lieu dans tous les conflits que nous connaissons, de façons différentes. Je pense qu'il est temps que le monde puisse s'éveiller, que le monde puisse dire non à l'utilisation du corps de femmes comme champs de bataille. Il faut toujours répondre à la haine par l'amour. »
