Lyon : Saint-Martin d’Ainay, une abbaye millénaire au cœur de la Presqu'île
Discrètement nichée au cœur des élégants immeubles du quartier d’Ainay, l’église Saint-Martin est la plus ancienne église lyonnaise encore debout. Plus que millénaire, elle a joué un rôle notable dans l’histoire de la dévotion mariale de la ville en accueillant l’un des plus célèbres archevêques anglais du milieu du Moyen-Âge.
Ainay, vue du chevet © C.SavarySi la Basilique d'Ainay est aujourd'hui au cœur de la Presqu'île, elle a passé la majorité de son histoire dans une position géographique difficile à imaginer aujourd'hui. Ce n’est qu’à la veille de la Révolution que les travaux d’extensions de la presqu’île de Lyon réunirent une série d’îlots au sud de l’enclos d’Ainay pour former l'actuel quartier Perrache. Jusqu’alors, l’abbaye occupait l’extrémité sud de la presqu’île, une zone plutôt isolée.
À la chute de l’empire romain, la ville de Lyon se limite à la ceinture de murailles défensives, qui s’arrêtaient au nord de la place Bellecour. Au-delà se trouvait un terrain vague, non protégé et seulement jonché de quelques ruines romaines, où l’évêque Gondebaud érigea vers 500 un petit sanctuaire dédié aux anges, et particulièrement à saint Michel.
Au siècle suivant, des ermites s’installèrent sur ce territoire. Leur communauté grandit et s’organisa pour donner naissance à l’abbaye bénédictine d’Ainay, à l’emplacement de l’église actuelle. Située hors de l’enceinte fortifiée lyonnaise, elle subit régulièrement des dégâts lors des conflits armés. Les bâtiments monastiques étaient entourés de vastes terrains cultivés qui furent progressivement habités sous la pression urbaine croissante. De cet enclos ne reste aujourd’hui que le tracé de quelques rues et le souvenir d’une porte, qu’on appelle aujourd’hui la voûte d’Ainay, un passage sous un immeuble menant de l’église vers la Saône, à côté du bouchon lyonnais Chez Abel.
Une histoire mouvementée
De ce complexe architectural médieval subsiste surtout l’église abbatiale dont les parties les plus anciennes remontent à l’an mil, en particulier la chapelle Sainte-Blandine et le clocher-porche. Le corps principal de l’édifice fut construit autour de 1100, légèrement désaxé par rapport aux constructions précédentes. Quelques panneaux de mosaïques qui ornaient l’intérieur ont survécu, témoignant du maintien de la pratique de ce type de décor romain depuis l’époque romane.
Autres ornements d’origine antique, les puissantes colonnes de granit de la croisée furent récupérées dans les ruines du Sanctuaire fédéral des Trois Gaules érigé sous Auguste sur les pentes de la Croix-Rousse. Les voûtes en plein-cintre, les chapiteaux corinthiens et la coupole au centre de la croisée sont autant de réinterprétations de l’architecture de l’antiquité romaine qui caractérise l’art roman de cette « renaissance du XIIe siècle ». L’abbaye lyonnaise s’inscrit alors dans le sillage de la célèbre abbaye de Cluny à laquelle elle fut rattachée.
À la fin du Moyen-Âge, Ainay souffrit des nombreux conflits du temps. Grande Peste et Guerres de Religions perturbèrent profondément la vie monastique qui ne parvint pas à se reformer, entraînant sa sécularisation en 1684. Les moines passèrent alors d’une vie commune et hiérarchisée dans la tradition bénédictine à une organisation autonome et collégiale de chanoine séculier. La communauté devenue un chapitre ne partageait désormais plus une vie commune complète, mais adopta des logements séparés autour de l’église, le cloître devenant une sorte de petit quartier ecclésiastique.
Un siècle plus tard, l’archevêque de Lyon obtint de réunir une partie des revenus de l’abbaye au diocèse, tout en installant la paroisse du quartier dans l’église, remodelant ainsi l’identité de Saint-Martin d’Ainay : d’une origine monastique et liturgique, elle évolua vers une dimension plus pastorale qu’elle conservera après la Révolution.
En 1790, le chapitre est dissout, ses bâtiments sont vendus et détruits. L’église elle-même souffre de nombreuses destructions et de manque d’entretien, imposant d'amples restaurations au XIXe siècle. L’aspect roman fut alors remis en valeur : peinture de motifs géométriques aux voûtes, création en 1853 d’un maître-autel par le célèbre orfèvre parisien Placide Poussièlgue-Rusand sur le modèle de l’antependium de Bâle (1019) et installation d’une « couronne de lumière », vaste lustre de métal adoptant la forme d’une cité fortifiée, la Jérusalem céleste de l’Apocalypse.
Offert par un paroissien en 1861, cette couronne est une reproduction d’un des rares luminaires romans encore conservé, le « chandelier de Barberousse » qui orne la cathédrale d’Aix-la-Chapelle depuis 1170.
Ainay, lustre néo-roman © C.SavaryAu cœur des dévotions lyonnaises
Par-delà son histoire monastique et l’intérêt de ses vestiges antiques, Saint-Martin d’Ainay est surtout un sanctuaire lié aux deux grandes dévotions lyonnaises : Marie et les premiers martyrs chrétiens.
En 1107, c’est le pape Pascal II lui-même, voyageant de Paris à Rome, qui inaugura le nouvel édifice roman. Lors d’une cérémonie fastueuse, il consacra le maître-autel et un autel secondaire dédié à « la Conception de la Vierge ». Ce vocable était très rare à l'époque car dans la plupart des cas, c’était la maternité de Marie qui était mise en avant. Ce détail a été relié par la tradition lyonnaise au séjour de plusieurs années que fit saint Anselme de Cantorbery dans la ville entre 1099 et 1106.
D’après son secrétaire Aedmer, c’est à Lyon qu’Anselme rédigea plusieurs de ses principaux ouvrages théologiques, en particulier celui portant sur la Conception de la Vierge Marie, où il pose les bases de ce qui deviendra en 1854 le dogme de l’Immaculée Conception. Après le retour de l'archevêque en Angleterre, la liturgie lyonnaise diffusa progressivement une dévotion particulière à cet aspect du mystère de l’Incarnation et du choix de Marie comme mère du Christ. Cette chapelle serait ainsi probablement la première dédiée à l’Immaculée Conception en France, attirant l’attention de théologiens médiévaux, comme saint Bernard de Clairvaux qui la cite directement.
Au sud de l’édifice se trouve une chapelle reconstruite au XIe siècle et dédiée à sainte Blandine. Les placages de terre-cuite à l’extérieur, la sophistication de sa voûte, la préciosité des marbres blancs formant clôture et balustrade en font un véritable reliquaire qui conservait le souvenir des martyrs de sainte Blandine et de ses compagnons. Elle se distingue aussi par l’aménagement d’une petite crypte sous l’autel principal, accessible par quelques marches et ornée d'une mosaïque égrainant les noms des martyrs. Cette chapelle et toute l’église sont un joyau de décor roman et néo-roman qu’on trouve rarement au cœur d’une grande ville.
