A la découverte des premiers chrétiens lyonnais à Saint-Irénée
Retrouver les traces des premiers chrétiens dans nos régions oblige parfois à un peu d’imagination. Les pierres et les textes qui peuvent en témoigner sont très rares. C’est pourtant le cas de la basilique Saint-Irénée, où nous pouvons mettre nos pas dans ceux de l’historien mérovingien saint Grégoire de Tours à la recherche du souvenir d’Irénée, célèbre évêque de Lyon et docteur de l’Église.
Saint-Irénée crypte © C. SavarySituée sur la colline de Fourvière, l’église Saint-Irénée conserve une crypte qui serait le plus ancien exemple de son genre en Europe, d’après les récentes découvertes archéologiques. Rares sont pourtant les sanctuaires des premiers siècles chrétiens à pouvoir être documentés avec précision. Moins nombreux encore sont ceux qui ont conservé quelques vestiges du premier millénaire de notre ère. À ce titre, Lyon bénéficie d’une richesse de monuments peu commune.
Des fouilles menées en 2022 ont révélé aux archéologues une heureuse surprise. Les maçonneries de l’abside seraient beaucoup plus anciennes qu’on ne le croyait jusqu’alors. Autour du souvenir de saint Irénée, orateur et théologien grec devenu évêque de Lyon à la fin du IIe siècle, cet édifice plonge le visiteur au cœur de l’époque mérovingienne, aux temps de grandes figures comme sainte Geneviève, saint Éloi ou sainte Bathilde, des pères de l’Église et des premiers monastères, de saint Benoît de Nursie à saint Césaire d’Arles.
La première mention du lieu remonte en effet au VIe siècle, époque de sa construction. Cent ans après la chute de l’empire romain, Grégoire, évêque de Tours, entreprit une histoire de l’Église faisant la part belle aux communautés locales qu’il connaît. Écrivant entre 570 et 590, il est la plus ancienne et souvent l’unique source d’information sur les saints évangélisateurs de la Gaule et leurs sanctuaires. Cité antique d’importance, Lyon y figure en bonne place. Grégoire rapporte le souvenir des martyrs des persécutions romaines, et nous fournit la plus ancienne mention du culte de saint Irénée, successeur de Pothin. Il raconte son propre pèlerinage sur la colline de Fourvière, sa découverte de la basilique Saint-Irénée alors récemment construite et sa visite de « l’église inférieure » : la crypte.
Cette crypte a résisté aux bouleversements de l’Histoire. Le monument construit du VIe au IXe siècle fut ruiné en 1561 par les bandes huguenotes du baron des Adrets pendant les Guerres de Religions. Relevée à la fin du XVIe siècle, l’église fut ensuite laissée à l’abandon au cours de la Révolution et subit le bombardement du siège de Lyon en 1793. Son état de délabrement imposa une nouvelle reconstruction à partir de 1824. Les parties inférieures ont conservé des vestiges anciens, comme ce linteau massif de porte en calcaire et en brique visible sur le flanc sud de l’église qui donnait accès à la nef mérovingienne, alors plus basse qu’aujourd’hui.
Saint-Irénée, linteau carolingien © C. Savary
Saint-Irénée crypte © C. SavaryPour l’« église inférieure », les principales modifications eurent lieu à la fin de l’époque carolingienne (Xe siècle). Malgré les nombreuses restaurations, l’accès à la crypte conserve une disposition proche de celle qu’empruntaient les pèlerins il y a mille ans. De part et d’autre des murs de la nef, deux couloirs voûtés s’enfoncent dans le sol et convergent en un palier commun ouvrant sur la crypte. Cet accès aux murs couverts de fragments de monuments funéraires de l’antiquité tardive nous plonge dans une atmosphère très évocatrice des premiers siècles de l’Église lyonnaise. On pénètre alors dans une vaste chapelle voûtée en berceau sur une file de colonne, selon une disposition datant probablement du IXe siècle et fidèlement restaurée au XIXe siècle, tout comme les peintures à motifs géométriques redécouvertes sur les voûtes ou le dallage de marbre blanc et bleu.
Au fond se trouvent trois autels de marbre blanc évoquant le souvenir des trois saints pour lesquels cette basilique fut construite : Irénée, évêque de Lyon entre 180 et 200 et Père de l’Église, Alexandre et Épipode. Ces deux derniers sont des martyrs beaucoup moins connus que Blandine, Pothin et leurs compagnons et pourtant leur culte s’est imposé, grâce à leurs reliques. En effet, les corps des martyrs de 177 avaient été brûlés et leurs cendres jetées dans le fleuve. Leur souvenir ne pouvait donc se cristalliser autour de leur tombeau.
Les dépouilles d’Alexandre et Épipode, martyrisés au cours d’une autre persécution vers 180 furent, elles, inhumées dans la nécropole de la cité antique et purent ainsi devenir le support matériel de la mémoire des martyrs lyonnais. Pour honorer leur mémoire et accueillir les pèlerins, une première église fut construite en 500.
Quelques années plus tard ils furent rejoints par les restes d’Irénée exposés au centre de l’abside. L’autel de marbre blanc sobrement sculpté qui s’y trouve aujourd’hui serait la cuve aménagée pour recevoir le corps du saint évêque devant lequel se recueillit Grégoire de Tours. C’est un témoignage du lien originel entre les tombeaux des martyrs et les célébrations eucharistiques des premières communautés, à l’image du tombeau de saint Pierre à Rome. Ce serait aussi l’un des plus anciens autels conservés en France avec la table d’autel sculptée de Saint-Victor de Marseille. Dispersées par les protestants au XVIe siècle, les dernières reliques de ces corps sont aujourd’hui conservées dans l’église Saint-Just voisine.
Cette histoire millénaire et l’importance de ces vestiges restent assez méconnues des lyonnais, alors qu’elles attirent de nombreux visiteurs et pèlerins étrangers. Parmi ces derniers se rencontrent de nombreux orthodoxes qui ont en grande estime les pères et saints de l’église latine d’avant le schisme de 1054.
Pour préparer une visite :
Association culturelle de sanctuaires Saint-Irénée et Saint-Just
