Café philo : « Nous ne pouvons pas vivre sans croire »
Professeure de philosophie et conférencière au Collège supérieur de Lyon, Marine de Préneuf explore les relations entre croyance, foi et raison, et notre besoin de "faire confiance" pour vivre. Au micro de Laetitia de Traversay, elle nous invite à entreprendre une réflexion philosophique pour interroger nos évidences.
Quand la foi et la raison font la paix - photo d'illustration de Syd Trgt - © from Pexels« Croire, ce n’est pas être naïf »
" Pourquoi croyons-nous ? " La question pourrait sembler exclusivement religieuse. Marine de Préneuf la déplace : avant toute foi, il y a nos croyances ordinaires, discrètes, quotidiennes. Celles qui tissent notre vie sans que nous en ayons conscience. La racine le la "foi" est "la confiance", "fides" en latin. Et si nous observons notre quotidien, nous avons besoin de "faire confiance", "d'avoir foi en quelqu'un" pour vivre. Par exemple, nous faisons confiance au serveur du restaurant, à nos sens, à la parole d’un ami. Nous vivons parce que, spontanément, nous croyons.
Pourtant, ajoute l'enseignante, nous avons appris à nous méfier des croyances. Comme si croire, c’était manquer d’instruction ou renoncer à penser. Le Dom Juan de Molière s’en moquait déjà : « Je crois que deux et deux font quatre, et que quatre et quatre font huit ». Je ne pourrais croire, au sens de tenir pour vrai que ce que je peux démontrer.
Mais la raison elle-même n’échappe pas à la croyance. Elle a besoin de principes reçus, non démontrés, pour pouvoir démontrer le reste. La raison, dans son exigence, commence par dire non — non à ce qui s’impose trop.
facilement, non à nos habitudes de pensée. Mais elle dit aussi : " je ne peux pas tout vérifier ". Et sans ce socle de confiance, la vie et la pensée s’arrêtent.
« Il y a des croyances raisonnables et même nécessaires »
À l’opposé d’une raison toute-puissante, Marine de Préneuf défend une rationalité humble, consciente de ses limites. Kant, Pascal, Aristote… tous reconnaissent l’existence d’évidences premières, reçues plutôt que prouvées. Même les sciences les plus exactes reposent sur des intuitions.
Alors, croire est-il un acte déraisonnable ? Au contraire. Pour agir, pour aimer, pour se risquer, il faut croire — et accepter que le doute ne vient qu’après. La philosophe met en garde contre l’excès inverse : celui du complotisme, où la raison se dévore elle-même, voulant tout expliquer, ne faisant plus confiance à personne. Une pathologie de la pensée qui oublie que la vie sociale repose sur un minimum de foi dans l’autre.
Car au fond, croire ne revient pas seulement à adhérer à un contenu.
Croire, c’est croire en quelqu’un. Et cela engage la liberté, le discernement, la confiance accordée à un témoin jugé fiable.
Le cœur est touché… et alors la raison cherche à comprendre ce à quoi elle croit
Quand foi et raison cessent de s’opposer, le doute, le cœur et la confiance se répondent
Si la foi religieuse demeure un « risque », Marine de Préneuf refuse toute opposition simpliste entre foi et raison. Elles appartiennent à deux registres différents, mais compatibles. La science ne dit rien de la question du sens, ni de l’origine ultime, ni du mystère. « Les grands scientifiques eux-mêmes le reconnaissent », rappelle-t-elle.
Saint Augustin, qu’elle évoque en conclusion, incarne cette circulation féconde : la raison l’a conduit jusqu’aux portes de la foi, mais c’est son cœur qui a été touché. Et alors la raison, loin de s’éteindre, s’est mise à chercher, à comprendre, à approfondir ce qui s’était révélé.
La conférencière précise que l'être humain a besoin de croire parce que vivre exige un minimum de confiance. On croit parce que d’autres, avant nous, ont témoigné. On croit parce que quelque chose, un jour, nous a touchés. Et l’on continue de croire, non pour renoncer à la raison, mais pour la faire vivre là où elle ne peut plus démontrer.
Marine de Préneuf nous invite ainsi à faire la paix entre foi et raison : deux chemins distincts, mais qui, ensemble, éclairent l'existence.


Des itinéraires inspirants, des cafés philo, du conseil conjugal et familial et de la Communication Non Violente, le samedi à 16h50 et le dimanche à 9h30.
Lætitia de Traversay donne la parole aux hommes et aux femmes qui construisent ce monde, discrètement et passionnément : spécialistes du couple et de la famille, philosophes, formatrices en CNV (Communication Non Violente), des personnes qui osent s'engager et relever des défis, portées par leur foi en Dieu et leur foi en l'Homme.
