À Poitiers, un petit groupe d’irréductibles passionnés s’est donné pour mission de faire revivre et transmettre une langue régionale méconnue : le parlanjhe. Rencontre avec Lysiane Sari, membre active du club de langue de l’Université de Poitiers, qui œuvre pour la préservation de ce patrimoine immatériel.
Lysiane Sari habite à Poitiers, mais elle est originaire de la région, où elle a grandi en entendant parler le parlanjhe, ce patois poitevin-saintongeais. Depuis qu’elle est à la retraite, elle participe activement à un club linguistique animé à la faculté de lettres de Poitiers. Ce groupe, composé d’anciens locuteurs ou de simples curieux, se retrouve chaque lundi dans la salle B114 de la faculté pour travailler autour de la langue, partager des souvenirs, échanger des mots oubliés… et tenter de faire perdurer une culture menacée.
« Quand on entend un mot qu’on croyait oublié, ça revient. C’est comme réveiller une mémoire collective », explique-t-elle.
Le parlanjhe n’est pas uniforme : il varie fortement selon les zones géographiques. Au sein du club, on retrouve des personnes originaires de Charente, de Vendée, du nord et sud de la Vienne ou encore des Deux-Sèvres. Si les locuteurs parviennent à se comprendre, les accents, les tournures et certains mots diffèrent d’un village à l’autre.
« Autrefois , rien qu’à la façon de prononcer, on savait d’où venait quelqu’un », sourit Lysiane.
Cette diversité rend la langue à la fois riche et complexe, mais pose aussi des défis lorsqu’il s’agit de la fixer à l’écrit. Or, l’oral évolue, parfois très vite. « Ce qu’on parle aujourd’hui ne sera peut-être plus parlé dans cinq ans. Et ce n’est déjà plus ce qui se disait il y a vingt ans », rappelle-t-elle.
Face à cette évolution rapide, une normalisation orthographique du parlanjhe a été amorcée. L’idée : proposer une base commune, notamment pour les apprenants. Car pour une personne qui découvre la langue, il est plus simple d’avoir une version "standardisée", sans se perdre dans les variantes locales.
C’est dans cette optique que le groupe a récemment entrepris un projet ambitieux : traduire la Charte internationale des droits de l’enfant en parlanjhe. Un exercice à la fois linguistique et créatif.
« Ce n’est pas une simple traduction, car le parlanjhe n’a pas les mots pour tout. Ce n’est pas une langue juridique à la base », explique Lysiane.
Pour contourner l’absence de certains termes, les membres du groupe ont souvent eu recours à des périphrases, à des images ou à des détournements poétiques. Ainsi, "la discrimination raciale" devient "la giration raciale", un mot difficile à traduire en français mais qui, dans le parler local, évoque l’humiliation ou l’injustice. Le mot "autorités locales", lui, a été transformé en "les métrios locaux".
« On a essayé de traduire le sens de la loi, avec des mots qui font résonner les mêmes idées. »
Le travail, débuté il y a près de trois ans, a soulevé de nombreux débats passionnés au sein du groupe : faut-il écrire "les drôles" au pluriel ? Garde-t-on les majuscules ? Chaque mot choisi fait l’objet d’un consensus minutieux.
Cette traduction de la Charte sera bientôt mise en ligne, notamment sur le site de l’Université de Poitiers ou celui de l’UPCP (Union pour la Culture Populaire en Poitou-Charentes-Vendée). Elle a été également présentée lors de la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée le 21 février, en hommage à sa création par l’UNESCO en 2000.
Ce jour-là, un livre de comptines de la Marcheoise, ainsi qu’une bibliographie d’auteurs d’expression régionale, ont été également dévoilés, dans une volonté de valoriser toute la richesse littéraire et linguistique de la région.
Si le club attire quelques étudiants ou curieux, Lysiane regrette que la transmission intergénérationnelle du parlanjhe s’amenuise. « Il n’y a pas d’inscrits pour l’année prochaine, et c’est dommage. Dans les familles, la langue ne passe plus comme avant. »
Pourtant, de nombreuses ressources existent : dictionnaires, grammaires, glossaires… et même un atlas sonore disponible en ligne répertoriant toutes les langes régionales reconnues en France; on peut y entendre une même phrase lu dans chacune des langues, accents et ses spécificités régionales sont ainsi soulignés.
Les membres du club ne sont ni linguistes, ni traducteurs professionnels. Certains sont enseignants, d’autres passionnés d’histoire locale. Tous ont en commun le goût du mot juste et l’amour de leur langue. « On travaille un peu comme des latinistes ou des hellénistes », plaisante Lysiane, « sauf qu’on s’amuse beaucoup plus ! »
Et si quelqu’un leur soumet un texte, ils se lancent volontiers dans une traduction… à condition d’avoir un peu de temps. Car transmettre, c’est aussi prendre le temps de bien faire.
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