L’intelligence artificielle est au cœur des débats, entre espoirs et inquiétudes. À l’occasion du sommet de l’Élysée sur l’IA, Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon.co, plaide pour une IA inclusive et accessible à tous. Comment éviter une fracture numérique aggravée par cette révolution ? Comment former les publics les plus éloignés ?
Patrick Lonchampt : L’IA est aujourd’hui un enjeu stratégique. Le sommet de l’Élysée peut-il réellement permettre à la France de se positionner comme un leader d’une IA souveraine et responsable ?
Frédéric Bardeau : Ce sommet est avant tout un événement diplomatique. Il s’inscrit dans une série de rencontres internationales qui visaient d’abord la sécurité de l’IA. La France, fidèle à son approche singulière, a rebaptisé cet événement « sommet de l’action », pour insister sur l’impact concret des décisions prises. L’enjeu est double : montrer que nous pouvons être une puissance de l’IA en Europe, mais aussi défendre une IA éthique et responsable, à l’opposé des modèles uniquement dominés par la rentabilité ou le contrôle total.
P.L. : On parle beaucoup d’IA souveraine. Quels sont les défis à relever pour y parvenir ?
F.B. : Aujourd’hui, chaque modèle d’IA reflète son pays d’origine et ses valeurs. Un modèle américain privilégiera la liberté d’expression, tandis qu’un modèle chinois intégrera des restrictions sur certains sujets. Une IA souveraine et responsable en France implique de garantir la transparence des données, d’assurer un impact environnemental réduit et de limiter les biais algorithmiques. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre ces objectifs.
P.L. : Vous êtes un pionnier du numérique inclusif avec Simplon. Voyez-vous l’IA comme un levier d’insertion ou comme un facteur de fracture numérique ?
F.B. : L’IA a un potentiel inclusif énorme, mais elle peut aussi creuser les inégalités. Chez Simplon, nous formons depuis 2018 des publics éloignés de l’emploi aux métiers de l’IA, notamment grâce au Plan Villani. L’IA permet d’ajouter des « super-pouvoirs » à ceux qui savent l’utiliser, mais encore faut-il que chacun puisse se l’approprier. Sans formation adéquate, elle risque d’accroître la fracture numérique.
P.L. : L’IA va-t-elle détruire des emplois ou créer de nouvelles opportunités ?
F.B. : Comme toute innovation, l’IA transforme le marché du travail. Elle supprimera certains emplois, mais en créera d’autres. Le défi est d’accompagner cette transition (NDLR la peinture n'a pas disparu avec la photographie). Aujourd’hui, nous avons besoin de « dresseurs d’IA » chargés de corriger et réorienter les modèles, de data engineers, de spécialistes en alignement éthique… Et au-delà des métiers spécifiques à l’IA, tous les secteurs seront impactés. Un avocat, un journaliste ou un graphiste qui sait utiliser l’IA sera plus compétitif qu’un collègue qui l’ignore. Il ne s’agit donc pas seulement d’apprendre à coder, mais de savoir interagir avec ces outils.
P.L. : L’IA peut-elle vraiment être mise au service de l’intérêt général ?
F.B. : Oui, et c’est un enjeu fondamental ! L’IA peut faciliter l’accès à l’information pour les personnes en situation de handicap, améliorer l’accompagnement des populations précaires, ou encore aider les associations dans leur gestion des données et leur communication. La France et l’Europe ont une approche unique sur ce sujet, privilégiant une IA qui serve le bien commun plutôt qu’un simple outil de rentabilité.
P.L. : Pour une IA vraiment inclusive, quelle est la priorité absolue ?
F.B. : Former massivement. L’IA, c’est comme le sexe chez les ados : tout le monde en parle, mais peu la maîtrisent vraiment. Il faut démocratiser son apprentissage, dès l’école, et accompagner en priorité les publics les plus éloignés. Sans cela, on risque d’assister à une captation des bénéfices de l’IA par une élite technologique, creusant encore davantage les inégalités.
P.L. : Un dernier mot sur l’impact environnemental de l’IA ?
F.B. : On diabolise souvent l’empreinte écologique de l’IA, mais elle représente seulement 4 % des émissions du numérique, lui-même responsable de 8 % des gaz à effet de serre mondiaux. L’essentiel de la pollution numérique vient des équipements des utilisateurs (smartphones, écrans, consoles…). Il faut bien sûr concevoir des modèles d’IA plus économes, mais le vrai défi écologique du numérique est ailleurs.
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