Franco-Iranien, Mohsen témoigne de la situation en Iran
Après 15 jours de guerre d’une intensité rare entre Israël et l’Iran, Mohsen, Franco-Iranien vivant à Rennes et ayant vécu 20 ans dans le pays, témoigne et exprime son désarroi face à la situation. Il dénonce la responsabilité israélo-américaine et celle du régime islamique dans cet engrenage mortifère, dont les premières victimes qui en subissent les conséquences sont les civils.
© PixabayQuelle fut votre première réaction suite aux frappes israéliennes et américaines en Iran ? Est-ce que vous vous y attendiez ou était-ce une surprise ?
On s'y attendait tous. La majorité des Iraniens s'y attendaient ; on va dire que 90 % s'y attendaient. Parce que quand on menace un pays du matin au soir depuis 40 ans, et surtout quand on n'évalue pas son adversaire en termes de rapport de force, un jour cet adversaire débarque. Et ce fut le cas. Voilà, on ne savait pas quand mais c'était imminent et voilà, ça c'est fait.
Quel scénario du pire envisagez-vous pour le pays à l'avenir ?
Il faut dissocier le peuple et le gouvernement parce que c'est un peuple qui est emprisonné dans un régime totalitaire. Et là malheureusement ils subissent les pires exactions. Tout est en déclin dans le pays : la cellule familiale, la sécurité, la dégradation écologique des mers, des lacs, des forêts...
On voit bien que c'est un régime qui ne cherche qu'à extraire toute la richesse du pays au profit des autres zones stratégiques considérées pour lui. Le combat est idéologique aussi. Son objectif est la disparition de l'État d'Israël. On est devant un tableau idéologique obscur d’un pays dont le seul but est de faire disparaître un autre pays qui se trouve à 2000 km. Ce n’est même pas un voisin. On dresse ici le cadre idéologique d’un régime qui a abouti à plus 40 ans d'embargo, de privation, de déclin économique et social du pays.
Quelles sont les lueurs d'espoir pour ce pays selon vous ?
Ah, les lueurs d'espoir… On sait très bien que ça ne peut pas venir de l'extérieur. Enfin, l'extérieur peut déclencher certaines choses mais la liberté il faut qu’elle vienne de l'intérieur via le peuple lui-même. Et il faut qu’il ait la volonté de le faire. Israël cherchait son intérêt et a détruit ce qui le gênait dans cette opération. Ça a affaibli le régime qui est à son niveau le plus faible. Son leader est caché depuis des jours dans un tunnel. Dans ces conditions, le peuple peut prétendre à se soulever. Mais c'est difficile de dire comment et dans quelles conditions parce qu'aujourd'hui il n'y a pas d'opposition et il y a une répression féroce dans le pays. Ça pourrait déclencher une déstabilisation du régime si les gens se soulevaient d'une manière massive et organisée.
Notre soutien à nous européens ne peut être que logistique et moral. Le destin de l’Iran appartient bien plus à ceux qui vivent sur place. La lueur d’espoir c’est qu’il peut se passer quelque chose; et aujourd'hui le timing est bon parce que suite à ces attaques le régime a perdu son identité, son idéologie.
Il avait misé depuis 40 ans sur la mise en place d'une bombe nucléaire. Et il n’a pas réussi. Si je vous donne des chiffres, plus de 3000 milliards de dollars ont été investis depuis 40 ans pour ces centrales soit-disant atomiques. Aujourd'hui, tout a disparu. Son assurance vie, qui était ses sites nucléaires, n'est plus là. Le système est détruit. Le ciel de l'Iran appartient entièrement à ses ennemis.
Le peuple, lui, est à son niveau le plus bas en termes de mode de vie, de besoins élémentaires : se nourrir, se déplacer, se vêtir… En revanche, aujourd'hui, un alignement des planètes fait qu' il peut se passer quelque chose.
Quels acteurs peuvent initier ce changement de paradigme ?
Parmi les acteurs qui peuvent aider dans ce changement, on parle souvent de fils de l'ancien président Reza. Il a l'héritage de son père et il est très actif. Il représente l’opposition la plus marquante car il est en relation avec les dirigeants du monde occidental. On va dire qu'il est le premier opposant. Après, derrière lui, il y a d'autres opposants moins connus, moins médiatisés qui cherchent aussi à avoir gain de cause dans leur démarche.
Le leader et guide suprême actuel a 88 ans et il est malade. Cependant, à court terme, c'est Trump en ce moment le leader de tous les mouvements. S'il ne trouve pas d'interlocuteur crédible pour prendre le pays en main il va se tourner vers les dirigeants actuels malgré qu'ils soient affaiblis. Il reste cependant une fraction modérée de dirigeants qui peuvent signer des traités de cesser le feu.
Quelle est l’issue possible alors ?
Il y a deux scénarios possibles: l’armée se joint au peuple qui se soulève. Dans ce cadre il y a une circulation d’armes possible et il en faut face à des gens armés… Cela peut mener à une période de chaos. Dans ce contexte, on peut imaginer une bascule du régime. Cette bascule se concrétise ensuite par les dirigeants ou les oppositions à l’étranger parce qu’à l'intérieur il n’y a pas d'opposition. Les opposants sont menacés, fusillés ou disparaissent.
S'il n’y a plus de guide, au vu de son état de santé, les fractions des modérés peuvent prendre le pouvoir en main en disant bon OK, on accepte tout et on garde la République islamique mais on devient plus sage, on va dire plus “fréquentable”. Voilà le deuxième scénario.
Quand vous discutez avec vos proches sur place, comment la vie s'organise ? Quel est le quotidien des civils qui subissent cette situation ? Est-ce qu'on peut parler d'un semblant de retour à la normale petit à petit ?
Le pays a subi plus de 40 ans d'embargo. Donc forcément, la vie est chère. L'inflation est à deux chiffres et dès qu'il y a des bruits de canons, forcément tout devient encore plus cher et encore moins accessible. Pendant le bombardement, il y a eu des files interminables devant les stations de service, devant les boulangeries. Ces files d'attente, elles se sont estompées - mais la vie normale, avant les bombardements, consiste à vivre dans la peur des milices qui sont là pour surveiller. Elles sont devenues encore plus méchantes, plus féroces qu'avant parce qu’ils redoutent les agents de Mossad parmi la population et infiltrés dans le pays. Ils cherchent partout des boucs émissaires et des espions. Tout le monde est sujet à des soupçons. La répression est d’autant plus importante qu’ils ont subi un échec. Ils ont compris qu'ils étaient très faibles en termes de renseignements généraux mais qu’ils étaient très forts au niveau des miliciens - d’où la répression du peuple via des bombardements et terreurs très ciblés.
Aujourd'hui, la vie est redevenue normale en termes de file d'attente, mais les gens sont encore plus inquiets parce qu’ils sont sous le regard inquisitoire du service des milices d'État. Elles détectent si vous avez passé un coup de fil, envoyé un SMS ou un message WhatsApp à des gens à l'étranger avec des photos des sites bombardés etc. Dans ce cas, vous êtes considérés comme des traîtres et ils viennent vous chercher, vous amènent dans un endroit inconnu et on ne vous revoit plus. Il y a donc davantage d'inquiétude au niveau de la vie de tous les jours.
Vous vivez en France. Qu'est-ce que vous attendez de l'Hexagone face à cette situation géopolitique et qu'est-ce que vous attendez du reste de l'Union européenne ?
Je fais entendre la voix du peuple qui souffre. Je souhaite qu’il soit entendu, qu’il soit considéré dans leur dignité. C'est un peuple qui est héritier d'une grande civilisation, mais qui souffre et qui n’est pas compris. Ils sont mélangés dans une histoire qui n'est pas la leur. Ils ne veulent pas de l'arme nucléaire, ils veulent juste une vie normale. Ce que j'attends de l'Occident, c’est qu’il entende ce peuple cultivé mais isolé, qu'il les aide et les épaule dans leur lutte pour regagner leur liberté.
