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Déconfinement : la fatalité du retour à la normale?

RCF,  - Modifié le 27 juin 2021
L'édito du Père Benoist de Sinety Déconfinement : la fatalité du retour à la normale?
Le 6 mars 2020 a marqué le début du confinement, pour beaucoup un moment difficile, mais n'oublions pas ceux qui ont été enfermés dans leur misère, leur solitude, leurs addictions ...
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Nous sommes le 6 mars 2020. Elle s’appelle Huguette, elle a 87 ans, atteinte depuis plusieurs années de la maladie d’Alzheimer. Elle est en EHPAD depuis deux ans, pas malheureuse : quand ses enfants et petits-enfants venaient la voir autrefois, il lui arrivait même d’être présente, de sourire, et puis elle repartait mystérieusement vers des rivages inabordables … Il s’appelle Isaac, il a 13 ans, enfant des rues de Kinshasa, et il se drogue depuis si longtemps qu’il ne s’en souvient plus. Il sourit devant la caméra, la clope au bec, faisant l’homme mais sans parvenir à effacer vraiment le souvenir de l’enfant. Il vit en volant et sans doute aussi parfois en se prostituant, collé à des jeunes de son âge qui affichent la même fausse assurance. Elle s’appelle Jeanne, elle a 45 ans et chaque matin s’engage à l’aube dans un parcours du combattant qui la conduit d’improbables RER en métros bondés pour embaucher comme femme de ménage à plus d’une heure trente de trajet de chez elle. Elle espère rentrer le soir au même moment que ses enfants de l’école pour les faire dîner et en profiter un peu aussi. Il s’appelle Meiko, transsexuel exilé dans nos bois, livré aux fantasmes de quelques-uns de nos contemporains. Il est venu de Birmanie il y a vingt ans et se réjouit d’avoir enfin trouvé une chambre à louer à un prix accessible : 600 euros par mois avec les toilettes sur le palier. La douche ? son propriétaire lui a assuré qu’il l’aurait bientôt. En attendant il paye cash parce que c’est plus simple.

Je pourrais vous parler aussi de ces jeunes sur le point de lancer leur entreprise : un travail de plusieurs mois, de créations, de rêves, d’ambition. Ou bien de ces migrants auxquels personne ne souhaite vraiment donner un nom pour éviter de regarder leurs visages et risquer de se rendre compte que loin d’être une masse informe, ils sont comme nous de chair et sang même si nous les parquons au fin fond des îles grecques trop loin pour nos grands reporters et nos bonnes consciences. Pour Huguette, Isaac, Jeanne et Meiko, pour ces jeunes créateurs et ces réfugiés, et pour des centaines de millions d’autres, pour nous, pour moi, pour vous, il y a eu, depuis ce 6 mars, un grand basculement. Nos vies ont été confinées. Les leurs ont été bloquées.

Voilà Huguette condamnée à être seule, dramatiquement seule, sans visite car il faut la protéger. Mais la protéger de quoi ? des derniers instants d’affection qu’elle pourrait goûter un peu. Voilà Isaac destiné à disparaitre dans les vapeurs de ses drogues, faute d’être recueilli car lorsque les rues soudain se vident, alors seuls demeurent ceux que l’on ne veut pas reconnaitre. On les pourchasse, on les efface. Voici Jeanne qui n’arrête pas, elle de prendre ce satané RER et ce métro désormais vides mais hantés par l’invisible risque. Afin d’aller garantir à ceux qui ne sortent pas de chez eux, l’hygiène suffisante pour qu’ils se risquent à aller faire des courses et remplir leurs frigos. Voici Meiko qui s’est fait expulsé puisqu’il ne peut plus payer sa chambre, n’ayant plus de client. Et qui subit la honte de dormir dehors et la peur de s’y faire agresser. Et puis il y a ces jeunes qui continuent de tout faire pour que leur projet aboutisse et ces cars de migrants attendus en Europe et que des énergumènes bloquèrent avant-hier sur les routes de Grèce les obligeant à faire demi-tour car « on ne veut pas d’eux ici ».

Je ne sais pas comment le monde tournera lorsque le fameux déconfinement entrera en vigueur : zone rouge, zone verte, avoir des masques ou ne pas pouvoir s’en acheter, rouler pour les plus riches en vélo ou se presser pour les plus pauvres dans les rames de métro… Mais ce dont je suis certain c’est que si nous nous empressons de retrouver une vie « normale » alors la solitude d’Huguette, la mort d’Isaac, les risques pris par Jeanne et les humiliations de Meiko, l’acharnement de ces jeunes et la détresse de ces migrants, tout cela n’aura servi à rien. A moins que nous ne refusions la fatalité d’un retour à la normale et que nous engagions notre volonté dans la construction de cette civilisation de l’Amour à laquelle l’Esprit nous appelle.

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