Alex Lutz présente "Connemara" tourné dans les Vosges
Le réalisateur strasbourgeois présente "Connemara", son 4e long-métrage tourné dans les Vosges, adaptation personnelle du roman de l'auteur lorrain Nicolas Mathieu. Il y explore le passage du temps, le rapport à la mémoire et le déplacement parfois ravageur des provinciaux à Paris.
RCF Alsace / Alex LutzRCF : Connemara, c'est d'abord l'adaptation d'un roman du même nom écrit par le romancier vosgien Nicolas Mathieu ( prix Goncourt en 2018 pour Leurs enfants après eux, également adapté au cinéma l'an dernier)qui se déroule entre Nancy et Epinal. Comment s'est passée la collaboration?
Alex Lutz : Je lisais Nicolas Mathieu que j'adorais, notamment avec Leurs enfants après eux. A ce moment-là, je l'ai contacté sur Instagram où je crois, un truc comme ça. Il m'a répondu que les droits étaient déjà pris, mais qu'il aimait mon travail. J'étais très honoré... le temps passe un peu. Je lis Connemara. Là, j'avais vraiment des visions très fortes de cinéma à travers le couple Hélène-Christophe, les deux personnages principaux. Entre temps, j'avais rencontré mon producteur spinalien, Emmanuel Georges. Nous avons fait un bel attelage pour séduire à nouveau Nicolas qui n'a pas hésité. Et après, il n'y a pas eu de collaboration. Moi j'ai écrit, il m'a donné les clés et puis j'ai eu la totale liberté de pouvoir adapter, interpréter et rêver ce film.
RCF : Revenir tourner dans la Région a-t-il créé une émotion particulière chez vous, alsacien d'origine ?
A. L. : Une émotion très particulière finalement, même plus particulière que si j'avais été en Alsace. Non pas que je n'ai pas un attachement très fort avec l'Alsace, mais là j'ai tourné dans les Vosges, qui est une autre partie de ma famille, ma belle-famille, notamment la région de ma femme, et la Moselle qui est la région de mon père. Ce dernier venait de mourir aussi. Etre dans cette ambiance-là, dans cet univers-là, me renvoyait aussi à des choses de mon papa auquel je fais un écho dans le personnage incarné par Jacques Gamblin. Il fallait que ça se passe dans le Grand Est !
Il fallait que le film se passe dans le Grand Est !
RCF : Au casting de Connemara, on retrouve votre ami et complice Bruno Sanches, avec lequel vous avez collaboré pendant plusieurs décennies sur Canal+ pour le programme Catherine et Liliane. Vous avez fait aussi appel à votre ami et metteur en scène, Tom Dingler, rencontré au lycée Jean Monnet à Strasbourg. L'amitié est-elle un terreau favorable à la création ?
A.L. : Oui ! Et puis la fidélité Dans l'amitié, il y a quelque chose de quelque chose de puissant et de rassurant. La création, c'est fatigant. C'est doux quand on peut continuer avec ceux qu'on aime et qu'on connaît bien. Et il y a un côté troupe aussi.
RCF : Dans votre film, vous représentez l'inéluctable passage du temps sur les personnages. Ce temps qui passe et ne se rattrape plus donc que vous avez évoqué, c'est ce que vous essayez de capturer au cinéma?
A.L. : En tout cas, je trouve que c'est le plus grand malentendu, la plus grande tragédie, la plus belle dramaturgie à travers les livres. C'est un ingrédient qui est vraiment partout et très fort. Il n'y a pas longtemps, je relisais Jean de Florette et Manon des Sources. C'est aussi cette affaire là, le regret criminel de Papé. A la fin, ce n'est qu'une histoire de temps mal goupillé, de choses pas dites, de timing foireux, de "ah bon, elle est partie ? - Mais je savais pas qu'elle était partie !" Et c'est tellement rageant. Et c'est tellement beau à raconter. J'aime bien malaxer cette pâte-là, mais je ne la malaxe pas avec nostalgie parce que je n'aime pas la nostalgie. Dans la nostalgie, il y a un côté "c'était mieux avant". Ce n'est pas du tout mon propos! En revanche, j'aime bien le rétroviseur, j'aime bien cette question du temps. C'est bizarre comme matière, le temps ! C'est une matière meuble, c'est immense, c'est tout petit, c'est trop court et c'est trop long, enfin, c'est bon.
RCF : Selon vous, faut-il se juger à l'aune de son regard de jeunesse? L'adolescente est-il le bon critère pour vérifier si l'on est toujours aligné avec ce que l'on est au plus profond de soi ?
A.L. : En tout cas, ne pas trop oublier. Je trouve que la plupart de notre messe intérieure est dite entre zéro et dix ans. C'est toujours amusant quand on retrouve des gens d'une classe de primaire ou des gens qu'on a connus il y a très longtemps. On se dit "Oh la la, qu'est-ce qu'elle a changé! "Et puis très vite on se dit "Ah quand même, on retrouve un peu la même énergie !" C'est très touchant mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas se corriger en permanence. Il ne s'agit pas d'être exactement la même chose mais de ne pas oublier de ne pas oublier la petite personne qu'on était, avec ses grands rêves, ses grandes peurs, ses joies, ses peines, et ses trouilles parce qu'elle dit beaucoup de nous.
J'aime bien le rétroviseur, j'aime bien cette question du temps.


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