Qui a vraiment gagné la Première Guerre mondiale ?
Nous commémorons cette année les 105 ans de l'armistice du 11 novembre 1918. Pour les historiens, l'Europe s'est suicidée une première fois en 14-18 et s'est définitivement sabotée en 39-45... Si l'armistice du 11 novembre 1918 signe la victoire de la Triple-Entente, le conflit se solde par un bilan de plus de 38 millions de morts, blessés ou disparus. Qui donc a vraiment gagné la Première Guerre mondiale ?
Le XXe siècle, enfant de la Grande Guerre
"Souvent on fait partir le XXe siècle de 1914 mais en réalité c'est plus 1917." Jean-Yves Le Naour est l'auteur d'une somme magistrale, sobrement intitulée "1914-1918" (éd. Perrin, 2018), qui se lit comme un roman. Il y retrace, année après année, le déroulement de la guerre. En 1914, c'était "encore une guerre nationale, décrit-il, c'était encore vraiment les petites nations européennes avec leurs petites ambitions nationalistes".
En 1917 avec l'entrée en guerre des États-Unis, s'est révélée la puissance américaine, tandis que la Russie a basculé dans la révolution bolchevique. Jean-Yves le Naour parle de la naissance de "deux messianismes" qui se sont affrontés jusqu'en 1991, pour donner naissance à "un court XXe siècle idéologique". "L'Europe se suicide la première fois en 14-18, elle se suicidera définitivement en 39-45."
Et si les Allemands avaient gagné la bataille de la Marne ?
L'une des premières grandes bataille de la Grande Guerre, c'est la bataille de la Marne, du 5 au 12 septembre 1914. Une bataille que les Allemands auraient sans doute pu gagner, "c'est vrai que ça s'est joué à un cheveu", admet Jean-Yves Le Naour. De quoi susciter une interrogation vertigineuse : et si les Allemands l'avaient effectivement gagnée, cette bataille ? Dans "L'autre siècle - Et si les Allemands avaient gagné la bataille de la Marne ?" (éd. Fayard, 2018), Xavier Delacroix fait appel à six historiens - dont Stéphane Audoin-Rouzeau, Pascal Ory ou Pierre Singaravélou - et à cinq romanciers, comme Pierre Lemaitre l'auteur de "Au revoir là-haut (éd. Albin Michel, 2013 - Prix Goncourt) ou Cécile Ladjali, pour imaginer ce qui se serait passé alors. On appelle ça l'uchronie.
Entremêlant l'historicité à l'art du roman, l'uchronie est un type de récit dont l'auteur imagine ce qui aurait pu advenir si un événement avéré historiquement ne s'était pas déroulé ou repense le déroulement de l'histoire en faisant intervenir un fait générateur plausible mais en réalité non advenu, selon la définition du dictionnaire. Pour Xavier Delacroix, c'est à la fois une façon de questionner le "poids commémoriel" - auquel on se soumet selon lui assez facilement en France, "ce pays qui entre dans l'avenir un rétroviseur à la main".
L'uchronie, c'est aussi une façon de remettre en cause une certaine idée du "déterminisme" : "On a tendance à faire rentrer au chausse-pied des choses que l'on présente désormais comme évidentes et comme advenues et qui en fait si on veut bien regarder, auraient pu ne pas se pas se passer comme ça." D'ailleurs, analysant les causes "subjectives" de la Grande Guerre (par opposition aux causes objectives comme l'économie), Jean-Yves Le Naour écrit : "Ce qui a rendu le conflit inévitable ce fut la croyance dans son inéluctabilité."
Aurait-on gagné la guerre sans les civils ?
La guerre n'aurait jamais pu être gagnée sans les civils, sans ceux de l'arrière. C'est l'hypothèse d'Éric Alary, auteur de "La Grande Guerre des civils" (éd. Perrin, 2018). Il évoque les quelque 36 millions de personnes qui ont tenu bon entre 1914 et 1919 "sur un front intérieur oublié". "L'arrière est l'espace le plus oublié par l'historiographie, s'étonne Éric Alary, j'ai toujours été surpris par cette absence d'études des civils, comme si la société ne s'était intéressée en priorité qu'aux poilus."
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- 12 novembre 2018
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