Accueil
RCF Mohammad Ali Amir-Moezzi, oser une approche scientifique du Coran

Mohammad Ali Amir-Moezzi, oser une approche scientifique du Coran

RCF, le 3 juin 2024  -  Modifié le 19 juin 2024
Visages Mohammad Ali Amir-Moezzi pour un islam de paix

Qui a écrit le Coran ? Que sait-on vraiment de Mahomet ? Le prophète était-il illettré comme le dit la tradition ? L'analyse historico-critique des textes, née et développée en Occident, suscite des craintes. Pour certains elle menace la foi. Alors qu’émerge depuis plusieurs années un islam politique violent, l'islamologue Mohammad Ali Amir-Moezzi ose une approche scientifique du Coran.

"L’approche historico-critique [du Coran] ne menace par la foi mais elle sert justement à faire le tri entre ce qui est essentiel et qui relève de la foi et ce qui est accessoire et qui relève de la croyance." ©DR "L’approche historico-critique [du Coran] ne menace par la foi mais elle sert justement à faire le tri entre ce qui est essentiel et qui relève de la foi et ce qui est accessoire et qui relève de la croyance." ©DR

Cela fait plus de 40 ans que Mohammad Ali Amir-Moezzi étudie les origines de l’islam. D’origine iranienne, il est directeur d’études en islamologie classique à l’École pratique des hautes études, reconnu comme spécialiste mondial en particulier du chiisme. Il a contribué à la publication du "Coran des historiens" (éd. Cerf, 2019), un ouvrage monumental de plus de 3.400 pages, et co-dirigé une "Histoire du Coran" (2022).

Mohammad Ali Amir-Moezzi préside le conseil scientifique de l’Institut français d’islamologie (IFI), fondé en février 2022 de la volonté d’Emmanuel Macron après l’assassinat de Samuel Paty. Sa mission : promouvoir l’étude scientifique de l’islam. Mohammad Ali Amir-Moezzi propose notamment une approche historico-critique et philologique du Coran. Alors qu’émerge depuis plusieurs années un islam politique violent, quels sont les enjeux de l’analyse historico-critique des textes ?

Mohammad Ali Amir-Moezzi, pour une approche historico-critique du Coran

Les méthodes historico-critique et philologique sont nées et ont été développées en Occident à partir du Moyen Âge, au sein du christianisme. Elles ont été appliquées à la Bible pour tenter de savoir qui a écrit les Écritures et dans quel contexte... Il s’agit d’analyser le style du texte, sa structure ou encore ses différentes traductions. Et d'y trouver des indices d'influences extérieures d'autres cultures ou civilisations.

S’il y a eu un long travail d’interrogation des textes bibliques, pour le Coran il reste beaucoup à faire. Et "pas seulement sur le Coran, précise Mohammad Ali Amir-Moezzi, mais sur toute la culture, la civilisation islamique dans toute sa richesse, dans toute sa diversité". La méthode historico-critique suppose "une approche aussi distanciée que possible de l’objet" et non pas "une approche confessante".

Or, il arrive que les données de la science contredisent les dogmes. Chez les chrétiens, "ça a posé problème aux croyants pendant un certain temps", résume Mohammad Ali Amir-Moezzi, mais "finalement je crois que ça a été intégré même par les croyants juifs, chrétiens. Et donc ces croyants-là ne voient pas dans ce méthodes-là une menace pour leur foi. Ce qui n’est pas peut-être encore le cas pour les musulmans."

 

Le Coran se présente comme un prolongement du message de Moïse, c’est-à-dire la bible hébraïque, et du message de Jésus, c’est-à-dire la bible chrétienne

 

Que nous apprend l'approche scientifique du Coran ?

Le Coran est né en Arabie entre les VIe et VIIe siècles de notre ère. "Contrairement à ce que dit l’apologétique musulmane, qui présente l’Arabie préislamique comme une terre de paganisme, de ténèbres, d’ignorance… cette terre est une terre monothéiste depuis des siècles et des siècles."

Une terre en majorité peuplée de chrétiens, comme l’ont montré les fouilles archéologiques ou les données épigraphiques. L’étude philologique permet aussi de trouver dans le Coran de multiples influences. Il "se présente comme un prolongement du message de Moïse, c’est-à-dire la bible hébraïque, et du message de Jésus, c’est-à-dire la bible chrétienne."

Il existe une christologie et une mariologie coraniques, nous apprend l’islamologue. "Jésus est un personnage absolument central du Coran", dont il est dit avec insistance qu’il est le fils de Marie "pour ne pas dire fils de Dieu". Ainsi, « le Coran parle plus de Marie que l’ensemble des évangiles synoptiques. Il y a toute une sourate, un chapitre du Coran, qui s’appelle "Marie". »

La christologie coranique, qui "n’accepte pas la filiation divine de Jésus", rejoint les grands débats de l’époque sur l’identité de Jésus et sa double nature - débats entre arianistes, nestoriens, montanistes, monarchianistes… Ainsi "la christologie coranique n’a rien d’exclusivement coranique ou arabe. C’est une christologie qui existe dans des courants qui sont considérés comme hétérodoxes par la grande Église catholique de Byzance, de Constantinople."

 

Qui a écrit le Coran ?

La tradition dit que Mahomet ne savait pas lire ni écrire. "L’illettrisme de Mahomet est une donnée apologétique, même dans la tradition islamique nous avons des données qui montrent que Mahomet n’était pas illettré." Mais "ça augmente le caractère miraculeux du Coran : tout ce qui est là est la parole de Dieu". Mahomet et son entourage formaient "une communauté savante" parfaitement informée "sur les cultures ambiantes". Certains passages du Coran "sont des paraphrases de textes préexistants, juifs et surtout chrétiens de langue syriaque".

Le Coran, qui n’est pas un livre mais un corpus de textes variés, a été publié plusieurs décennies après la mort du prophète, en 632. Une période au cours de laquelle les guerres civiles entre les fidèles de Mahomet mais aussi les grandes conquêtes arabes et la mise en place d’un empire "ont eu une influence sur l'élaboration du Coran".

Les textes coraniques les plus anciens sont de style apocalyptique. "Ils annoncent la fin imminente du monde, des bouleversements cosmiques." De fait, au tournant des VIe et VIIe siècles, "dans toute la région et dans toutes les religions, tout le monde pense que la fin est proche". Et parmi les textes contemporains du Coran, on compte "deux apocalypses juives, deux apocalypses zoroastriennes et des écrits apocalyptiques chrétiens surtout en syriaque qui sont extrêmement proches même dans leur forme, du Coran."

 

Une méthode occidentale contestée au sein de l’islam

Il y a dans "les milieux intellectuels, lettrés, du monde musulman" un accueil favorable de la méthode historico-critique. Selon Mohammad Ali Amir-Moezzi, ils sont de plus en nombreux à dire "qu’il y a peut-être quelque chose qui ne va pas dans notre propre tradition et plus encore dans le regard que nous en avons". Des personnes qui pour certaines risquent leur vie, sont menacées voire assassinées par les tenants d’un "islam politique violent, dont les premières victimes, quoi qu’on en dise, sont les musulmans".

Pourtant, dans l’histoire de l’islam, il y a eu des croyants, comme le grand mystique Ibn Arabi et le grand théologien Al-Ghazali, pour distinguer "la foi et la croyance". Selon eux, "la foi concerne des choses essentielles, ça vient du cœur, c’est quelque chose de mystérieux qui ressemble à l’amour… La croyance concerne des choses beaucoup plus accessoires et elle dépend de notre milieu, de notre éducation, de nos parents, de notre société, de notre culture. Et il y a des croyances qui polluent la foi. Et parfois pour atteindre la pureté de la foi, il faut se débarrasser d’un certain nombre de croyances."

Pour Mohammad Ali Amir-Moezzi, "l’approche historico-critique ne menace par la foi mais elle sert justement à faire le tri entre ce qui est essentiel et qui relève de la foi et ce qui est accessoire et qui relève de la croyance."

 

Cet article vous a plu ?
partager le lien ...

©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Visages

RCF vit grâce à vos dons

RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation  de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !

  • Ce don ne me coûte que 0.00 € après déduction fiscale

  • 80

    Ce don ne me coûte que 27.20 € après déduction fiscale

  • 100

    Ce don ne me coûte que 34.00 € après déduction fiscale

Faire un don