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RCF État pour les juifs : la question du sionisme dans le conflit Israël-Palestine

État pour les juifs : la question du sionisme dans le conflit Israël-Palestine

Un article rédigé par Madeleine Vatel - RCF, le 11 juin 2024  -  Modifié le 11 juin 2024
Je pense donc j'agis Palestine / Israël : un ou deux États pour la paix ?

Le conflit qui divise les peuples palestiniens et israélien est-il d’abord religieux ? Invités à échanger sur la réponse au conflit Israélo-palestinien, les participants de « Je pense donc j’agis » ont été interpellés sur ce qu'est le sionisme. La terre exigée par Israël est-elle celle d’une revendication politique ou religieuse ? Une émission animée par Melchior Gormand et Madeleine Vatel

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Dans quelle mesure le conflit israélo-palestinien est-il un conflit religieux ? Pour Antonelle Bellantuono, théologienne, docteur en histoire des religions et responsable des relations internationales à l'université catholique de Lille, « c’est aussi un problème religieux dans le sens où c’est devenu un sionisme religieux mais cela n'a pas toujours été le cas». Pour mieux comprendre le sionisme, qui tire son nom de la colline sacrée de Jérusalem, Sion, il faut remonter le cours de l’histoire.

L’idéologie est née dans l’élan du mouvement européen des peuples qui réclamaient la reconnaissance de leurs libertés fondamentales et de leur indépendance. Le précurseur du sionisme, un grand intellectuel juif allemand Moses Hess, était un compagnon de Karl Marx. « Donc au début ce n’était pas un projet religieux. Pour Moses Hess c’était avant tout un projet laïc » explique Antonella Bellantuono. La première Alyah – c’est-à-dire la décision pour un juif d’aller s’installer en Israel, « était sur le modèle du Kibboutz, donc tout à fait socialiste ».

au début ce n’était pas un projet religieux. Pour Moses Hess c’était avant tout un projet laïc

Moses Hess défendait en effet l’idée que le judaïsme n’était pas seulement une religion, mais aussi une identité, un peuple et une nation qui avait donc droit à un Etat. La docteure en histoire lilloise souligne que c’est lorsque l’Etat d’Israël a été créé en 1948 que la religion a été introduite dans le système scolaire, le mariage, le shabbat, etc. « C’est avec Ben Gourion - premier chef de gouvernement de l'État d'Israël - que le sionisme est devenu religieux ». 

La société israélienne est divisée 


Il y a donc un sionisme religieux, et un sionisme politique. Les accords d’Oslo, signé en 1996, détermine une répartition des territoires. « Une partie de la société israélienne était d’accord : pour elle le sionisme avait abouti, les juifs avaient un Etat, la question du territoire était accomplie » résume Antonella Bellantuono. Mais pour une autre partie de la société israélienne, celle du sionisme religieux, les accords ne répondaient pas à la demande de « la terre d’Israël, donnée par Dieu ». « Cette partie de la population attend la reconstruction du grand Israël, située sur tout le territoire mentionné dans la Bible. Pour ces habitants, la Bible est utilisée comme un livre politique ». 
Pour compléter ces propos, l’écrivain Metin Arditi cite le mouvement territorialiste de Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste au congrès de Bale en 1897, et à l’origine d’un fond destiné à l’achat de terres en Palestine, alors encore Empire ottoman. 

Pour ces habitants, la Bible est utilisée comme un livre politique


« Initialement, il n’y avait rien de figé. Theodor Herzl avait engagé un mouvement sioniste et territorialiste à la recherche d’une terre pour le peuple persécuté : l’Argentine et même l’Ouganda avait été retenus de manière très sérieuse. Il y avait donc une certaine ambiguïté au départ » résume Metin Arditi, francophone, d’origine turque sépharade, et très investi sur le terrain au Proche Orient. Cette ambiguïté a été entretenue par la déclaration d’un écrivain anglais, issu d’une famille de juifs russes, Israel Zangwill :  « La Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre », dans laquelle se sont engouffrés de nombreux juifs. « Mais n’oublions pas que l’écrivain, après s’être rendu sur place, avait admis à son retour qu’il s’était trompé. Il y avait bien un peuple sur cette terre. Israel Zangwill a quitté le sionisme pour devenir ‘territorialiste’ ». 
Le sionisme n’a donc pas toujours été religieux et Metin Arditi rappelle que les juifs orthodoxes étaient même très opposés à la constitution d’un Etat politique. « A leurs yeux, et selon la Torah, c’est le Messie qui va constituer le pays d’Israël et pas la politique ». 

La guerre des Six Jours comprise comme une victoire divine


D’où est venu la bascule ? Comment est-on passé d’un territoire, quel qu’il soit, à un sionisme religieux, revendiqué. L’écrivain Metin Arditi le date à un moment précis : 7 juin 1967, au moment de la conquête de Jérusalem-est. « Devant le mur des Lamentations, le grand rabbin a sonné le shofar, la corne de bélier des grandes occasions saintes. En célébrant la victoire de la guerre des 6 jours, et la composante religieuse a pris une place très importante dans le conflit. J’ai vécu cet instant avec beaucoup d’émotion. C’était la victoire éclatante du petit pays d’Israël contre les armées de Jordanie, d’Egypte et de Syrie. Il y a eu un virage vers la religion. Et évidement quand on mélange politique et religion, c’est la pire des choses . Et malheureusement aujourd’hui le sionisme religieux occupe la place» analyse Metin Arditi.  

ll y a eu un virage vers la religion après la guerre des Six jours. Et évidement quand on mélange politique et religion, c’est la pire des choses.


Pour répondre à cette question d’un sionisme politique ou religieux, le politologue Salam Kawakibi élargit la perspective aux autres peuples. « C’est un conflit territorial pour certains et national pour d’autres. Les palestiniens revendiquent leur légitimité à avoir des droits sur leur Etat historique. Parler du sionisme religieux, c’est un peu contredire le sionisme lui-même, car il est bâti sur une conception laïque. Il suffit de voir la guerre fratricide entre les sionistes et les religieux ». Le directeur du Centre Arabe de Recherches et d'Etudes Politiques de Paris rappelle qu’il y a des sionistes non juifs, des sionistes catholiques comme Joe Biden, ou celui des évangélistes sionistes aux Etats-Unis.  La cohabitation est possible. « Les juifs palestiniens existaient. Il ne faut pas oublier que le monde arabe et le monde musulman avait de bonnes relations avec les juifs. J’en suis le témoin. A Alep, mes parents m’ont raconté leur vécu avec leurs voisins juifs. Alors ceux qui essaient maintenant d’inventer une guerre religieuse, c’est pour donner des arguments à tous les radicaux de tous côtés » 


Le 7 octobre, une attaque politique  

Le président de la république française, Emmanuel Macron a qualifié les attaques du Hamas du 7 octobre, « du plus grand massacre antisémite de notre siècle ». Pour Antonella Bellantuono, « c’est une erreur, Emmanuel Macron mélange antisémitisme et antisionisme. Il s’est aussi trompé en comparant le Hamas au groupe Isis, l’État islamique en Irak et en Syrie (ISIS), car c’est d’abord un conflit politique et de territoire ».

Si cela avait été des Esquimaux qui bloquaient le territoire de Gaza, ils auraient connu le même sort

Pour cette docteure en religion, la responsabilité du premier ministre israélien est importante dans la place qu’occupe la religion dans ce conflit. « Benjamin Netanyahou entretient la confusion en citant des passages bibliques pour justifier ses actions comme la prise de Gaza, ou pour encourager ses soldats au combat. Il compare régulièrement les palestiniens avec les Amalécites, un peuple de nomade, décrit comme les ennemis permanents d’Israël et punis par Dieu ». Et Metin Arditi de compléter : «  Le 7 octobre n’est pas une attaque antisémite, mais une attaque de territoire, une attaque politique. Si cela avait été des esquimaux qui bloquaient le territoire de Gaza, ils auraient connu le même sort ».  
 

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© RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Je pense donc j'agis

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