[Évangile du dimanche] Choisir des liens qui libèrent
L'évangile de ce dimanche a de quoi choquer. Jésus dicte les conditions pour faire partie de ses disciples : rompre tout lien, y compris avec sa famille ou son conjoint ! La version grecque du texte parle même de "haïr" les siens... Des mots qu'il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre. Mais comment les comprendre ?
Dans l'évangile de ce dimanche, Jésus demande à ceux qui veulent le suivre d’être "très vigilant vis-à-vis des relations qui peuvent être des relations de dépendance ou de servitude." ©FreepikÉvangile du dimanche 7 septembre (Lc 14, 25-33)
De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.
Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !”
Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
(Source : AELF)
L’évangile de ce dimanche est tiré de la dernière partie de l’évangile de Luc. C’est le début de la montée vers Jérusalem, le lieu de sa Passion. Durant cette longue phase, Jésus donne à ses disciples des enseignements pour "assurer la transition entre cette phase où il est encore parmi ses disciples et cette phase où il ne le sera plus", explique James Woody, pasteur de l'Église protestante unie de France (ÉPUdF) à Montpellier. Or, cette fois le nombre de personnes qui l’entourent est au-delà du cercle restreint des disciples. On parle de foules qui le suivent.
Miracles ou prédication : qu’est-ce qui attire les foules vers Jésus ?
On le sait, la vue publique de Jésus est marquée par deux aspects essentiels : les miracles qu’il accomplit et les enseignements qu’il prodigue. Il est tentant de croire que les foules, si souvent mentionnées dans les évangiles sont attirés par les miracles.
"C’est plutôt la prédication qui a mobilisé les foules, estime cependant James Woody. Jésus a toujours veillé à ne pas faire de miracle la cause de l’adhésion à ce qu’il était à ce qu’il incarnait." La prédication c’est "ce qui permet à une grande foule de prendre conscience qu’elle n’a jamais été au contact de la vie comme elle l’a été avec Jésus". C’est d'ailleurs ce "phénomène d’adhésion" qui va inquiéter les autorités de Jérusalem.
"Haïr" son père et sa mère ? Un message difficile à entendre !
Des foules assoiffées de vie donc, qui ont de quoi se sentir perplexe en écoutant Jésus ce jour-là. Ses propose semblent aller dans le sens inverse de ce qui fait aimer la vie : "Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple." Cette traduction édulcore les mots de Jésus. Dans la version grecque il est même question de "haïr" son père, sa mère… !
Ainsi, Jésus "relativise de nombreux liens", admet James Woody. "Il va même être dans une sorte d’opposition, il y a un phénomène de rupture." Et cette rupture proposée par Jésus pour être son disciple est plusieurs ordres.
Il y a d’abord la rupture avec les liens du sang. Pour Jésus, les liens de parents à enfant "ne sont pas un lieu n suffisant pour mener une vie bonne, interprète James Woody. On devrait préférer notre frère de sang à ce prochain qui vient et que l’on ne connaît pas encore."
La rupture concerne aussi les liens conventionnels. Cela signifie que les liens établis par un contrat, comme par exemple le contrat de mariage, ne sont jamais supérieurs à l’amour du Christ. "Même la famille au sens du choix, du contrat, est toujours inférieure à ce qu’il y a à vivre au regard de l’Evangile", explique James Woody.
Enfin Jésus invite à une troisième rupture : avec soi-même. Il s’agit de "considérer que nous ne sommes pas face à Dieu le centre de toute chose" et qu’il "ne faut pas se prendre comme mesure pour notre propre vie. C’est Jésus qui devrait être le centre de gravité quand on se considère chrétien."
Les conditions pour se dire chrétien et donc disciple de Jésus
Évidemment, Jésus ne demande pas de haïr, au sens littéral, ni son père ni sa mère ni son conjoint. Il demande en réalité d’être "très vigilant vis-à-vis des relations qui peuvent être des relations de dépendance ou de servitude."
Ce dont il est question ici, c’est bien de liberté intérieure. "Ce que dit Jésus, c’est qu’il va falloir être dépossédé pour être vraiment libre." Dans le passage de l’évangile de Luc qui précède le nôtre, il est question d’une personne qui en invite de nombreuses chez elles, et toutes ont autre chose à faire. "On a toujours des raisons de refuser l’appel du Christ", explique James Woody. On trouve toujours de mauvaises excuses pour différer la réponse positive à l'appel de Jésus. De même qu'il faut sans cesse grandir en liberté intérieure, "le disciple doit être toujours prêt."


Peu de nos contemporains connaissent les Évangiles. Ils n'y sont pas hostiles mais ils n'ont plus d'occasion d'y avoir accès. C'est partant de ce constat que, avec l'éclairage d'un bibliste, Béatrice Soltner propose chaque semaine un texte d'Évangile pour qu'il soit entendu (ou réentendu), pour en savourer la nouveauté et faire l'expérience que - si incroyable que ce soit à l'heure de l'instantanéité - cette parole écrite il y a plus de 2.000 ans nous rejoint toujours au plus profond.




