Recherche médicale : pourquoi ce fossé entre les pays du Nord et du Sud ?
Les inégalités entre les pays du Nord et les pays du Sud sont souvent mises en exergue. Un autre domaine qui ne semble pas non plus épargné : celui de la recherche médicale. Un fossé qui semble s'accentuer au fil du temps, et qui soulève des questions cruciales sur l'accès aux connaissances médicales, aux technologies de pointe et aux traitements. Une émission Je pense donc j'agis présentée par Melchior Gormand.
Le monde de la recherche médicale n'est pas épargné par les inégalités : dans les pays riches et développés dits du Nord, on observe des avancées médicales et des moyens généreux en termes de recherche et d'accès aux soins. Quant aux pays moins avancés, dits du Sud, il y a moins de développement et les États peinent à accéder aux mêmes ressources.
Comment expliquer cette fracture médicale ?
Manque de ressources financières
Le problème de répartition des richesses est un facteur majeur. Les sept pays les plus riches du monde assurent les deux tiers de la valeur produite annuellement sur la planète, tous domaines confondus. Pourtant, ces pays ne représentent que 12 % de la population mondiale. Quel impact sur la recherche mondiale ? Pour le Dr Christian Johnson, directeur médical de la fondation Raoul Follereau, "la recherche médicale a un coût pour les pays pauvres. Il y a un problème d’insuffisance des ressources financières dans ces États." Les pays du Sud n’ont globalement pas les moyens de faire des progrès médicaux à cause de leur pauvreté. Ce manque de ressources impacte aussi un autre indicateur de richesse, celui de l'espérance de vie. "Elle atteint à peine 60 ans dans la plupart des pays d’Afrique et plus de 80 ans dans les pays du Nord. La pauvreté en est la première cause", explique Géraldine Duthé, directrice de recherche à l’INED, prend l’exemple de l’espérance de vie. Par ailleurs, les pays du Sud subissent l’exploitation des pays du Nord. Ils ne contrôlent pas assez leur marché et restent en "sous-développement".
Manque de ressources humaines
La formation des professionnels de la santé est insuffisante au Sud. Progresser dans la recherche médicale requiert des qualifications et des qualités. "Former un chercheur prend beaucoup de temps", rappelle le Dr Christian Johnson. Il y a aussi un manque de communication flagrant entre les chercheurs du Nord et ceux qui résident dans les pays du Sud. Selon Valéry Ridde, directeur de recherche au CEPED et travaillant au Sénégal depuis 4 ans, les chercheurs qui partent à l’étranger ne travaillent pas avec les chercheurs du pays. Pourtant, "ils doivent le faire ! Tout le monde doit participer aux enjeux si nous voulons progresser", estime-t-il.
Manque de volonté politique
Que font les États ? C’est un problème qui semble rejoindre tous les autres, car les gouvernements ne sensibilisent pas assez leurs populations et mettent peu d’argent dans les problèmes de santé. "Deux exemples : il y a peu de sensibilisation en Afrique pour les vaccins et une hospitalisation coûte tellement cher que les gens n’y pensent même pas", illustre Géraldine Duthé. Le chercheur Valéry Ridde ajoute que ce n’est pas qu’un problème de sensibilisation car "souvent, les gens sont conscients des problèmes qu’ils vivent mais les États ne leur donnent pas les moyens de les régler".
Quels impacts sur les pays du Sud ?
En conséquence, les pays d'Afrique ont des difficultés pour gérer leurs problèmes médicaux. Le continent, tout comme d'autres régions du Sud, connait un retard alarmant au niveau des vaccins. Par exemple, l’Afrique est de loin la grande perdante de la course à la vaccination contre le Covid. Ce manque d'entraide entre Nord et Sud a exploité les failles déjà bien ouvertes des problèmes en matière de santé. "La tuberculose a été découverte en 1882 et touchait les pays du Sud. Il a fallu 40 ans pour rendre un vaccin disponible. Aujourd’hui, on a davantage dépensé pour le Covid et on a trouvé un vaccin en un an car il touchait surtout les pays du Nord", déplore Valéry Ridde. La lèpre est un autre exemple, cette maladie touche beaucoup les pays pauvres : "Les traitements en Afrique datent des années 1940. En Europe, on a beaucoup d’autres maladies du même type qui ont des traitements plus récents", souligne Christian Johnson.
Quelles perspectives pour panser les plaies ?
Pour Géraldine Duthé, il y a des raisons d’espérer. "On sait quels sont les moyens pour lutter contre les problèmes de santé. Il faut maintenant les mettre en œuvre”, selon la directrice de recherche de l’INED. Christian Johnson appelle ainsi à "redéfinir les priorités” pour qu’elles soient en accord avec les besoins des populations. "Il faut utiliser un financement alternatif. Une partie des bénéfices des entreprises qui s'installent dans un pays serait dédiée à financer la santé afin d’avoir des ressources locales adaptées aux besoins des habitants”. Valéry Ridde prône quant à lui le concept de décolonisation de la santé mondiale. Une manière de lutter contre les enjeux de pouvoirs et revoir les pratiques de recherche pour qu'elles soient plus éthiques et équitables : "Les pays du Nord doivent arrêter de dicter aux autres pays ce qu’ils doivent faire et ne plus dénigrer les connaissances médicales des pays du Sud", précise-t-il.
Même si des solutions existent, la fracture Nord-Sud est toujours bien présente. Ces raisons d’espérer ne garantissent pas la fin de ces inégalités. Pour Valéry Ridde les pays les plus riches auraient dû profiter de la crise du Covid-19 pour réduire l'écart entre Nord et Sud. Le coche est raté pour un changement radical, mais l’espoir est là.
La lèpre, un cas d'école
Chaque année, plusieurs centaines de milliers de personnes des pays du Sud sont touchées par la lèpre à travers le monde. Une maladie de l’extrême pauvreté qui n’a pas disparu, même si les espoirs restent bien présents. Écoutez la seconde partie de l'émission Je pense donc j'agis :
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- Santé15 décembre 2022
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