Les naufragés de la vie à Marseille

Véronique Macary - RCF, le 19/05/2021 à 11:51
 -  Modifié le 19/05/2021 à 11:51
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Les naufragés de la vie à Marseille
Chaque nuit, ils sont des dizaines à tenter leur chance pour passer la nuit au centre Forbin éclairé par l'hospitalité des frères de Saint Jean de Dieu. Un reportage de Véronique Macary.
2020-Véronique Macary-Sur le mur du bureau de la directrice Aurélie Ruybanis, la photo d'un naufragé récemment disparu. 2020-Véronique Macary-Sur le mur du bureau de la directrice Aurélie Ruybanis, la photo d'un naufragé récemment disparu.

Non loin des docks de Marseille, le centre d’hébergement de nuit et de réinsertion sociale Forbin ouvre ses portes aux naufragés de la vie.

La plupart sont des travailleurs qui sortent à peine des magasins touristiques où ils travaillent. Parmi les SDF, il y a les "migrants" arrivés miraculeusement par des bateaux de fortune, il y a les habitants de la rue d’Aubagne jamais relogés- après l’effondrement des deux immeubles en 2018-  et d’autres malmenés par la vie.

Une participation financière

Un lit, une douche, un repas chaud pour 50 centimes. C’est le prix que doivent payer les personnes au bout de la quatrième nuit qu’elles passent dans ce lieu qui propose une aide sociale, psychologique et matérielle. "Ensemble on s’organise face à la misère et à la précarité, il faut s’adapter", explique Lionel Julien.

"Les salariés sont bien dans l’hospitalité et dans la spiritualité de la fondation Saint Jean de Dieu. Je pense que les hébergés sont contents de venir chez nous", souligne Céline.  

Des lits d’urgence

Quelque 200 personnes sont accueillies sur des lits d’urgence, c’est-à-dire sur des périodes de dix nuits, voire de 90 nuits.  Le séjour moyen étant de 41 nuits. Des séjours d'insertion de plusieurs mois (155 nuits maximum) sont aussi possibles, 35 lits étant réservés pour cela.

L’un des hébergés vient d’attendre 4 jours avant de pouvoir "rentrer à Forbin". "J’ai dix jours de logement gratuit, dix jours où j’ai la possibilité de voir des gens pour m’orienter, voir des assistantes sociales, pour améliorer mon train de vie et m’éviter d’être à la rue. J’ai trois enfants, j’ai ma mère qui habite à Aix en Provence qui est prête à me recevoir", explique-t-il au micro de Véronique Macary. C’est l’alcoolisme qui lui a fait perdre pied. "Je suis addict et malheureusement quand on est addict, c’est difficile de s’en sortir".  Au centre Forbin, il est formellement interdit de boire. "Jamais, je ne le ferai ici", promet-il.

Une grande vulnérabilité

A la tête de ce centre, la directrice Aurélie Ruibanys observe depuis quelques années le mouvement d’assainissement et d’embellissement de ce quartier  (avec les docks, le Mucem…).
"Parfois on pourrait se dire que cet accueil de nuit fait tâche. J’ai eu des voisins de l’établissement qui sont venus me voir car leur voiture avait été vandalisée. D’autres m’ont demandé de faire le nécessaire pour partir. Je leur ai répondu que l’établissement était là depuis 1872 et qu’en y regardant bien, il n’était pas certain que l’insécurité de l’arrondissement tienne à la présence de l’accueil de nuit Forbin car les personnes qui arrivent ici sont dans une telle vulnérabilité que leur souci est de rentrer à l’intérieur de l’établissement et se reposer, pour mieux ressortir".

"Les personnes accueillies sont dans une situation telle que quand elles arrivent dans l'institution, elles ont une violence institutionnelle très forte."

Ses journées commencent à 7h30 et finissent parfois à 22h. Sur son pare- brise, elle trouve parfois des menaces de morts de la part de personnes non accueillies. Elle n’est pas étonnée. "Les personnes accueillies sont dans une situation telle que quand elles arrivent dans l'institution, elles ont une violence institutionnelle très très forte. Dans les premiers jours du séjour, qui normalement est de 15 jours, cette violence doit s'exprimer. C'est une façon de faire rencontre. La directrice et son adjoint représentent l'autorité et cette rencontre passe parfois par des violences verbales assez dures, qui peuvent aller jusqu'à des menace, mais peut-être que c'est un mal pour un bien. Une fois qu'on a posé le cadre, les choses se stabilisent mais cette violence institutionnelle est partout".

S’en sortir

Amiloud Chéboub travaille en cuisine au sein du centre. Né en France de mère française et de père algérien, il a été hébergé pendant 9 mois ici. 'J’ai tenté ma chance, j’ai fait une demande et cela a donné des fruits. J’ai 16 ans de boîte, j’en ai vu des cas, notamment de personnes désespérées à qui j’ai remonté le moral. Il suffit d'avoir la volonté de travailler ! Tu peux t’en sortir, moi je suis passé par là".

10% de l’habitat insalubre en France est à Marseille. Et dans cette ville de 850 000 habitants, plusieurs quartiers sont à l’abandon en plein centre. 
La cité phocéenne, plus que jamais, est une ville représentative du monde dans toutes ses couleurs, ses forces et ses précarités.

Un reportage en partenariat avec la fondation Saint Jean De Dieu.

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