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Bruno Villalba : réinventer la politque à l'heure de l'anthropocène

Bruno Villalba : réinventer la politque à l'heure de l'anthropocène

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 27 mars 2024  -  Modifié le 27 mars 2024
Commune Conversion Bruno Villalba : réinventer la politque à l'heure de l'anthropocène

Militant écologiste et enseignant-chercheur en science politique, Bruno Villalba plaide pour une écologisation de la politique. Pour lui, il faut sortir des politiques environnementales pour entrer vraiment dans l'écologie politique. Il invite à prendre acte des limites planétaires et à inventer une nouvelle relation au vivant. En s'appuyant sur l'expérience de sobriété contrainte des plus pauvres. 

Bruno Villalba Bruno Villalba

C’est une séance de catéchisme, qui a fait de Bruno Villalba, alors qu’il avait 9 ou 10 ans en 1974, le militant écologiste qu’il n’a jamais cessé d’être depuis lors. Parallèlement, il est devenu enseignant-chercheur : il est aujourd’hui professeur de sciences politiques à Agroparistech et membre du laboratoire Printemps, unité de recherche sous la co-tutelle du CNRS et de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Dans cette émission Commune conversion sur RCF, au micro d’Anne Kerléo, il témoigne de sa passion pour l’écologie politique et de sa conviction que nous devons enfin adopter des modes de vie et une organisation sociale écologiques, "entrer dans un rapport proportionné au monde". Pour lui, on ne peut plus, dans un monde à 8 milliards d’habitants, vivre dans un système hérité de la philosophie des lumières, en un temps où la planète comptait moins d’un milliard d’habitants. 

La colère comme moteur d'engagement 

50 ans plus tard, Bruno Villalba reste reconnaissant envers Madame Vasseur, sa "professeur de caté" à l’école sainte Austreberthe à Montreuil-sur-mer. Elle avait organisé un mercredi une sortie nature pour ses élèves, dans un endroit qu’il aimait beaucoup et qui le faisait rêver, "au bas des remparts". Heureux d’en apprendre plus sur ce lieu, le jeune garçon découvre alors un envers du décor qu’il était loin de soupçonner : "le guide nature nous a montré tous les résidus de pollution, toutes les traces de la pollution industrielle, tous les déchets balancés". Un vrai choc. Le point de départ de l’engagement d’une vie. Il témoigne : "ça ne m’a pas angoissé, ça m’a mis en colère. Et c’est toujours le sentiment qui m’anime aujourd’hui : je ne comprends pas qu’on ne soit pas en colère par rapport à ce qui est en train de se passer. Comment on peut accepter de s’inventer des histoires pour s’imaginer qu’on va résoudre le phénomène, simplement en allant ramasser les déchets de temps en temps pour se donner bonne conscience ? C’est important de le faire, mais il faut aller à la cause."

La catastrophe écologique, conséquence de notre rapport au monde

Cet épisode le met en route et l’écologie ne le lâche plus. Il explique : "à partir du moment où vous êtes interpelé sur quelque chose, soit ça passe, soit ça devient une espèce d’attention récurrente (…) Quand vous êtes dans cette attention, vous allez vous mettre à considérer la choses". Et c’est ce qu’il fait. Il faut dire que l’actualité lui offre bien des piqûres de rappel : "accidents nucléaires, accidents de pétroliers, disparitions d’espèces, et caetera". Au fil de ses lectures, de ses réflexions et de ses recherches, il comprend que ces épisodes ne sont pas seulement "une succession d’accidents, mais quelque chose qui exprime un disfonctionnement profond". Pour lui l’écologie devient LA question, LA grille de lecture et de transformation du monde. Il se nourrit de "tout un courant de pensée qui émerge au début des années 70, qui permet d’expliquer comment tous ces éléments catastrophiques déconnectés trouvent une vraie cohérence : ce ne sont pas des hasards, des accidents, c’est au contraire le résultat logique d’une manière de construire notre rapport au monde, au vivant, aux autres hommes". 

Sortir d'une vision instrumentale de l'environnement


S’appuyant sur le politiste anglais Andrew Dobson, Bruno Villlalba évoque le renversement qu’il faudrait opérer de son point de vue : le passage de "l’environnementalisation" à "l’écologisation". Et il décrypte : "l’environnementalisation c’est ce qu’on fait encore aujourd’hui : vous prenez un disfonctionnement dans un système productif, par exemple l’énergie, et vous environnementalisez ce dispositif productif pour optimiser le rapport à l’énergie, à la ressource. Donc en gros vous faites mieux. Ce qui est bien. Mais fondamentalement vous ne changez pas le rapport avec le milieu vivant : vous considérez toujours que la ressource est à votre disposition et qu’on va l’utiliser jusqu’au bout. Et qu’un jour on inventera une autre recette magique qui nous permettra de continuer. L’écologisation c’est de dire au contraire : nous sommes dans un rapport de dépendance à l’environnement et cet environnement est limité dans ses capacités, il y a un stock matériel indépassable, il y a un stock d’espèces vivantes qui doit avoir des conditions pour sa propre reproduction etc, et dès lors que l’on tient compte de ces limites-là ça change la manière dont nous nous comportons vis-à-vis du vivant". C’est le passage de politiques environnementales à l’écologie politique. Pour Bruno Villalba, "la politique ne se construit pas simplement dans son rapport avec l’Homme, elle se construit à partir des conditions environnementales qui rendent possible ce rapport à l’Homme." Il s’agit de sortir d’une vision instrumentale de l’environnement pour considérer que "l’environnement est ce qui va permettre aux sociétés de s’organiser."

Nous marchons au-dessus du vide, comme le coyote de Tex Avery


Pour parler de l’époque que nous vivons, Bruno Villalba évoque "un moment de rupture" et convie la figure du coyote de Tex Avery, "personnage fascinant de stupidité et de constance", qui continue de courir au-dessus du vide alors qu’il a quitté la falaise, . Et il explique : "on est dans une logique d’inertie qui permet encore d’avoir suffisamment de puissance pour que la machine  continue à fonctionner pour le bien du plus grand nombre. Mais cette inertie s’épuise. Et dans le même temps, il y a d’autres inerties qui entrent en compétition avec notre inertie sociale : c’est l’inertie de la disparition du vivant, on est dans une période de 6ème extinction, on ne va pas entrer dans cette 6ème extinction, on ne va pas rentrer dans le changement climatique, on y est déjà, on ne va pas rentrer dans un processus d’artificialisation des terres, on y est déjà. Donc quand vous cumulez tous ces phénomènes, vous avez à la fois notre puissance énergétique qui diminue, notre puissance de capacité d’intervention qui diminue (..) et puis, de l’autre côté, les forces inertielles du monde vivant qui elles aussi s’épuisent. On est dans ce que le philosophe allemand Günter Anders appelle le délai c’est-à-dire la période qu’il reste pour que nous prenions des décisions face à des situations d’irréversibilité : combien de temps il nous reste pour prendre des décisions qui vont permettre de différer la situation d’irréversibilité, puisque de toutes façons on ne pourra pas y échapper. On est dans cette phase où les discours dominants continuent à croire qu’on va être dans une inertie suffisamment forte pour pouvoir ajuster tous nos comportements sociaux à ces disparitions des ressources, à ces limitations du vivant, etc. Mais le décalage n’est pas gérable : 8 milliards d’habitants veulent légitimement d’un mode de vie équivalent au mien, un confort matériel inédit dans l’histoire de l’humanité. Soit on accepte la prééminence des forces de la nature, soit on continue à croire qu’on est dans une logique suffisamment autonome nous les humains pour continuer à imposer notre volonté à tout ça. Ca ne marche pas".

Un entretien qui donne des clés dans un monde sans boussole

Au fil des échanges, Bruno Villalba raconte comment l’écologie politique s’est incarnée dans la vie politique, avec son versant radical et son versant tourné vers le compromis. Il évoque son travail d’enseignant en sciences politique avec en toile de fond l’urgence écologique et parle de ses étudiants dont certains choisissent de "bifurquer". Et puis il évoque son travail de recherche de terrain auprès de personnes qui vivent la pauvreté et donc une sobriété subie : ces personnes sont en quelque sorte des pionniers du monde à venir et peuvent nous aider à avancer collectivement dans un monde qui tiendrait compte des limites. Il donne aussi des pistes pour réfléchir un nouveau rapport au vivant. Et l’on ressort de cet entretien un peu plus outillé pour vivre notre époque sans boussole et peut-être un peu plus confiant en l’avenir, en dépit du constat sans concession. 
 

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Commune Conversion ©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Commune Conversion

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