“La Russie, comme avant, dominera ceux qui cherchent à dominer le monde,” a déclaré Vladimir Poutine lors de son allocution ce mercredi. Sept mois après le début de la guerre en Ukraine, la paix ne semble pas être pour bientôt. Le nombre de victimes ne cesse d'augmenter, 29.587 morts. Des dommages matériels qui s'élèvent à plus de 350 milliards de dollars (selon l’agence Reuters). Jean-François Bouthors, auteur de "Poutine, la logique de la force" (éd. L'Aube, 2022) et Anne de Tinguy, auteure de "Le géant empêtré"(éd. Perrin, 2022), reviennent sur les origines de cette guerre. Ils expliquent comment la Russie souhaite évoluer au XXIe siècle.
La Russie et l'Ukraine ont une origine commune, celle de la Rus’ de Kiev, premier État à réunir les Slaves de la région. Mais lorsque le “frère” ukrainien décide de s'éloigner en 1991, avec l'indépendance, puis en 2014, pendant la révolution de Maïdan où les Ukrainiens se rebellent face au pouvoir pro-russe, une incompréhension du à l'éloignement de l'Ukraine émerge côté russe. Et Poutine lui aussi "ne comprend rien à l'Ukraine" selon Jean-François Bouthors.
Depuis le début de la guerre, le 24 février, la Russie a “découvert” l'identité ukrainienne qu'il pensait inexistante. Une identité qui s'est forgée au contact des Russes. En 1945, lors de la création de l'ONU, Staline a donné un siège à la Biélorussie et à l'Ukraine dans le but d'avoir plus de sièges (alors que ses pays faisaient partie de l’URSS). Mais ces sièges qui étaient censés être des outils au service du Kremlin ont été pris très au sérieux par les Ukrainiens. Dans les années trente, plusieurs famines, appelées Holodomor, ont secoué l'Ukraine. Des famines artificielles voulues par Staline pour maîtriser ce peuple. De ses épisodes de famine un fort ressentiment à l'égard des Russes a été créé.
Les racines de ce conflit ne sont-elles pas dues à un choc des civilisations ? La Russie est montrée comme étant à part en Europe et en dehors du monde occidental. La théorie géopolitique, de Samuel Huntington, "Le Choc des civilisations" (éd, Odile Jacob, 2000), expose un monde divisé en plusieurs blocs civilisationnels.
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Selon Huntington, chaque civilisation est en conflit avec les autres et cela se passe aux frontières de chaque bloc. La Russie est un État de la civilisation orthodoxe au côté de l'Ukraine, la Biélorussie et les Balkans. Selon cette théorie, le rapprochement de l'Ukraine avec le bloc occidental, l'OTAN et l'UE serait à l'origine de ses tensions dues au changement des frontières civilisationnelles de Huntington.
Cependant, pour Jean-François Bouthors, "la Russie appartient à la civilisation occidentale." Pendant les années Gorbatchev, l'URSS s'est considérablement ouverte à l'Occident. "Un dialogue existait", il n'y avait "pas de haine à notre égard" précise Anne de Tinguy. Pour Eltsine " les vrais alliés de la Russie c'est l'Occident", ajoute Anne de Tinguy. Géographiquement et historiquement elle a toujours été attachée à l'Europe. 78 % de sa population est dans la partie européenne de la Russie - et " la Sibérie c'est vide !" dit sur le ton de l'humour Jean-François Bouthors.
De plus, l’histoire de la Russie est liée à celle de l'Europe et au voyage de Pierre le Grand en Europe. Il a lancé une doctrine qui a toujours été suivie en Russie : celle de rattraper son retard sur l'Occident. À son retour il se disait qu'”il faut développer la Russie". Un terme qui sera utilisé par "Poutine, Khrouchtchev, Brejnev c'est догнать rattraper égaler" en russe. C'est pour signifier l'envie de surpasser les autres puissances, précise Jean-François Bouthors.
La vie démocratique russe n'aura duré qu'une dizaine d'années. Poutine à son arrivée use de la démocratie pour justifier sa place. Jean-François Bouthors ajoute que la Russie à la sortie des années 90 souhaite "le retour d'une main-forte". C'est ce que Poutine promet dans ses discours de l'époque : être la nouvelle main forte du pays. Son arrivée met fin à la nouvelle vie démocratique impulsée par Eltsine. Navalny, principal opposant au pouvoir en Russie, a été empoisonné et le reste de l'opposition se fait discret ou inexistant.
En Russie, pour se présenter aux élections, il faut en théorie l’accord du gouvernement. Aujourd'hui le régime russe est considéré comme autoritaire. Depuis le début de la guerre, la plupart des médias d'opposition ont cessé d'exister ou ont changé de ligne éditoriale. Le classement, sur la liberté de la presse, de Reporter sans frontière (RSF), place la Russie 150e sur 180. Alors que Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l'URSS, menait une réforme appelée la perestroïka, qui visait à donner plus de liberté à la Russie. C'est aussi celui qui va normaliser les relations avec les autres puissances. "Il pensait que l'Union soviétique pouvait coopérer avec l'Occident", ajoute Anne de Tinguy.
Poutine veut faire revenir la Russie à un état post-Seconde Guerre mondiale, pour éviter de revivre "l’effondrement de l'URSS qui était inévitable dans les années 80", raconte Jean-François Bouthors. C'est-à-dire avoir des États tampons autour de l’espace vital de la Russie. Des États comme la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine.
Mais la Russie contemporaine peut-elle connaître la Démocratie et le libre débat ? "Mais pourquoi pas... Je ne vois pas pourquoi (la Russie) ne pourrait pas. Mais l'histoire de ces dernières décennies montre que cela va être un processus lent et complexe", selon Anne de Tinguy. "Il y a actuellement un découplage entre la Russie et l'Europe dû à la politique de Poutine et la guerre en Ukraine", ajoute l’auteure de "Le géant empêtré". Jean-François Bouthors cite le philosophe géorgien Merab Mamardashvili qui "avait une phrase très claire qui prétendait que la Géorgie et la Russie ne sont pas prêtes à la démocratie, ce sont des salauds".
Est-ce que ce conflit avec l'Ukraine peut-il être le tombeau de Poutine ? "J'en suis convaincue qu'il serait le tombeau de Mr. Poutine. De quelle façon je serais incapable de vous le dire. Mais il est clair que la politique de Poutine ne va pas dans le sens des intérêts de la Russie." Termine Anne de Tinguy. "La Russie va évidemment perdre... la question c'est, qu'est-ce qui restera de la Russie après.
Après la guerre il y a la reconstruction et selon Jean Bouthors “il va falloir soigner (la Russie) pendant longtemps". L'auteur de "Poutine, la logique de la force" rajoute que "le fils de Constantin Sigov ”, Philosophe ukrainien, "me disait "pour ma génération la question, c’est comment on va aider les Russes à devenir des gens normaux””.
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