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Pourquoi les séries déchaînent-elles les passions ?

Pourquoi les séries déchaînent-elles les passions ?

Un article rédigé par Jeanne d'Anglejan - RCF, le 6 octobre 2023  -  Modifié le 16 mars 2024
Je pense donc j'agis Engouement pour les séries : comprendre ce phénomène culturel

Au cours des dernières décennies, les séries télévisées se sont métamorphosées. D’un simple divertissement, elles sont devenues un phénomène culturel d'une envergure sans précédent. De Friends à Game of Thrones, en passant par Dix pour cent ou Le Bureaux des Légendes, ces productions captivent des millions de personnes à travers le monde et les générations, notamment grâce aux plateformes de streaming.

© Mohamed Hassan de Pixabay © Mohamed Hassan de Pixabay

Un succès fou

 

Il y a le Festival de Cannes, avec son tapis rouge. Mais au mois d’avril, chaque année depuis sept ans maintenant et quelques semaines avant la fameuse montée des marches, a aussi lieu le festival CANNESERIES. Créé face à l’internationalisation des séries, il entend "isoler et récompenser les meilleures séries", comme l’explique Albin Lewi, directeur artistique du festival, et de rajouter "On cherche dix séries dans le monde entier qui vont faire événement, en se concentrant sur des formats et des genres variés". Sur le tapis rose du festival CANNESERIES, on s’attache à montrer la diversité de contenus au plus grand nombre : les projections de séries sont gratuites et ouvertes au grand public. 

 

Au XXe siècle déjà, les auteurs publiaient leurs histoires par épisodes dans les journaux, poussant les lecteurs à acheter le numéro suivant. Les séries d’aujourd’hui fonctionnent plus ou moins sur le même concept : grâce au fil rouge qui lie les épisodes, le public s’attache aux personnages et veut à tout prix connaître la suite. Mais c’est surtout ces vingt dernières années que les séries ont fait leur révolution. Une révolution d’abord technologique, avec les outils nomades - smartphone, ordinateur portable, tablette - qui permettent de visionner seul et partout des épisodes. "Il y a aussi eu une révolution de contenu qui a impacté notre univers sériel", explique Albin Lewi. "Il y a 20 ans, la chaîne américaine HBO a été à l’origine d’un essor qualitatif des séries télévisées", rappelle-t-il. Rapidement suivie par Netflix, Amazon Prime ou Apple TV, les plateformes ont fait que "tout était possible : on pouvait remplir un espace infini, faire des tentatives sans qu’elles soient suivies par le plus grand nombre".

 

Enseignante-chercheuse en management des industries culturelles à l’EMLV à Paris et auteure d’un doctorat sur Game of Thrones, Julie Escurignan explique que "les plateformes ont mis en concurrence HBO. Elles ont permis une diversification des genres et des formats". En effet, sur les plateformes, il existe des formats variés, de la mini-série de quatre épisodes au blockbuster à 15 saisons. "C’est l’intérêt des séries : on peut moduler la longueur et la manière dont on raconte au fil des épisodes", souligne Julie Escurignan. Sans la grille de programmation propre à la télévision, les réalisateurs de séries se sont sentis plus libres sur les plateformes.

 

Si certains voient d’un mauvais œil le développement des séries qui "monopolisent notre être et réduisent les capacités de notre cerveau", Albin Lewi et Julie Escurignan estiment qu’elles sont aussi le terreau d’interactions humaines. "Elles rapprochent les gens, c’est une base culturelle qui permet d’interagir avec nos pairs", avance l’intervenante. Et à Albin Lewi d’ajouter que "les personnes se rassemblent pour vivre ensemble ces moments. Les séries font sens dans le monde social et créent du lien". Ne pas les regarder, parfois, c’est manquer ce qui fait l’actualité, c’est être en marge de discussions enflammées sur les derniers épisodes sortis. "Et puis aujourd’hui, on peut mettre en pause, on peut regarder en replay", argumente Albin Lewi, qui estime que l’on peut aussi regarder rationnellement des séries

 

Des séries devenues incontournables

 

"Il y a eu un avant et un après Friends". Pour Julie Escurignan, cette sitcom américaine à succès a été essentielle dans le paysage médiatique. Elle a "façonné des amitiés et a mis les séries américaines dans le viseur du reste du monde". Pourtant, rien ne laissait présager ce succès : un humour américain, des codes américains et un budget d’abord bas. Friends incarne la façon dont les séries voyagent, intriguent et permettent d’accéder à des codes sociaux qui ne nous appartiennent pas. Aujourd’hui, "on peut voir de tout". Sur les plateformes, les séries coréennes jouxtent les fictions américaines, turques ou espagnoles. Chaque pays s’y est mis, permettant de "poser un autre regard sur le monde et de comprendre des concepts". Quand elle enseigne, Julie Escurignan diffuse des séries pour expliquer par exemple d’autres méthodes de management : "c’est une autre manière d’envisager la société, de la discuter et de la mettre dans le débat social". 

 

Au-delà de trames narratives parfois complexes, les séries sont généralement immersives et touchent le public avec l’ingrédient de l’identification. Le secret ? "Les séries sur le long cours permettent d’aller très loin dans la complexité et dans le quotidien des personnages". En plongeant dans les univers variés, l’audience "sort de soi". Julie Escurignan comme Albin Lewi pointent le côté addictif des séries qui fait "qu’on y retourne". Une série a du succès si elle parvient à "créer un univers qui plaît, un monde dans lequel on a envie de se promener", estime Julie Escurignan. Un monde qui peut se déployer parfois sur une trentaine d’heures et qui fait que la série "entre dans notre quotidien. On regarde une série dans une bulle, ça fait partie du domaine de l’intime tellement on s’attaché aux personnages et à l’histoire".

 

De "l’américanisation" de l’industrie à une production de séries françaises

 

Avec le temps, les séries se démocratisent et le dédain de la part du cinéma disparaît. Des réalisateurs reconnus se mettent eux aussi au "petit écran" et font évoluer la qualité des productions. Avec les budgets de plus en plus importants qui leur sont alloués, certaines séries deviennent des mastodontes et le prix de production d’un épisode dépasse parfois des sommets. Mais Albin Lewi nuance : "il existe encore des petites séries qui fonctionnent, filmées avec un smartphone". "Les co-productions entre les pays fonctionnent aussi très bien", rappelle Julie Escurignan. La série américaine à succès Emily in Paris en est le témoin : elle cumule une audience importante en vendant une image "carte postale" d’un Paris magique. 

 

"En France, on a d’excellentes séries, mais ça a pris du temps". Pour sortir de la vision caricaturale des séries télévisées, l’Hexagone a dû attendre l’arrivée de réalisateurs issus du cinéma comme Éric Rochant avec Le bureau des légendes. "On a copié la façon de faire des américains avec des équipes d’auteurs, et ça a marché !", explique Albin Lewi. 

 

Les séries sont aussi un outil puissant de softpower, comme en témoigne le succès des séries coréennes, qui "parlent à tout le monde" et véhiculent une image méliorative de la Corée. En permettant à des réalisateurs d’aller plus loin dans leurs intrigues, les séries sont parfois à l’origine de micro-révolutions, comme la série anglaise Fleabag qui "avec sa tonalité unique a été un vrai choc féministe". Si certains estiment que les séries sont le lieu d’une sur-représentation de communautés, elles ont en tout cas permis "de sortir de soi et d’aller dans le quotidien de quelqu’un qui n’a pas de rapport avec notre univers réel", estime Albin Lewi. La doctorante opine : "les séries permettent de découvrir différents modes de vie et de pensée auxquels on n’à pas accès". Quoi qu’il en soit, face à la panoplie de séries disponibles sur les plateformes, les intervenants invitent à "en regarder peu et les regarder bien plutôt que d’en regarder beaucoup et mal".

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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