Considéré régulièrement comme l'un des films les plus importants de l'histoire du cinéma, "L'Évangile selon Saint Matthieu" de Pier Paolo Pasolini reste un modèle d'audace anarchiste reposant sur un solide socle d'orthodoxie. Critique et décryptage de Jean-Marc Reichart.
L'explication prioritaire du génie de cette œuvre réside dans la personnalité de son réalisateur, insaisissable au niveau idéologique à l'instar, entre autres et dans un registre différent, d'un Marcel Aymé en littérature. Au travers de créations transdisciplinaires importantes (poésie, peinture, littérature, cinéma...), Pasolini incarnait l'antimanichéisme politique et cinématographique par excellence. Une posture forgée de finesse et de complexité, indispensable à la transcription d'une vision esthétique du monde.
Dans "L'Évangile selon Saint Matthieu", il est question d'adapter à la virgule près le texte évangélique ; projet fou initié lors d'un concile jésuite et donc ici mis en œuvre par un homosexuel matérialiste revendiqué, déjà condamné précédemment à la prison pour blasphème.
En mettant en scène un Jésus hydrocéphale et énervé, Pasolini choque en invoquant au sein de son film la figure proudhonienne et révolutionnaire du Christ ; présentant ainsi la transcendance chrétienne comme une force de résistance face à la mondialisation naissante dans les campagnes italiennes. Véritable bouclier permettant, selon le réalisateur, de faire face à la destruction des racines et des traditions populaires menacées d'anéantissement par l'apparition du Marché.
Dès lors, le métrage entre dans la continuité de la lutte politique et artistique initiée par Pasolini au début de sa démarche. Une démarche esthétique puissante que l'on retrouve dans le film ; touchante de fragilité dans sa forme, faisant la part belle à un néoréalisme presque social qui va à l'encontre de la mythification attendue du personnage de Jésus.
Avec "L'Évangile selon Saint Matthieu", nous sommes indubitablement et sans conteste, face à un chef-d'œuvre intranquille, grandiloquent, baignant dans un fond sonore de calypso déconstruit, qui réussit le tour de force de faire souscrire universellement les spectateurs de tous bords à l'évidence de son génie.
Découvrez plus de décryptages de films qui questionnent ou sont en lien avec la foi chrétienne dans L'Oeil de Dieu, une émission proposée par Laurent Verpoorten, co-animée avec Jean-Marc Reichart.
Depuis ses origines, le cinéma n'a cessé d'illustrer, d'enseigner ou de mettre en question la foi chrétienne.
Qu'il s'agisse de Dieu lui-même, de Jésus, des saints et des saintes ou des valeurs catholiques, l'enjeu demeure identique : amener au visible ce qui par définition est invisible.
Dans L'oeil de Dieu, Laurent Verpoorten et Jean-Marc Reichart vous proposent de redécouvrir les grandes œuvres cinématographiques religieuses anciennes et contemporaines afin d'en goûter la profondeur.
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