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Jean-Claude Ellena, le parfumeur du pays de Grasse
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Jean-Claude Ellena, le parfumeur du pays de Grasse

RCF, le 3 décembre 2018  -  Modifié le 1 février 2024
Visages Jean-Claude Ellena, le parfumeur du pays de Grasse
Les savoir-faire liés au parfum en Pays de Grasse sont inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Rencontre avec Jean-Claude Ellena, parfumeur et enfant du pays de Grasse.
RCF / Thierry Lyonnet - Jean-Claude Ellena, "Je désire que le parfum soit un art" RCF / Thierry Lyonnet - Jean-Claude Ellena, "Je désire que le parfum soit un art"

Ce 28 novembre 2018, l'Unesco a inscrit "Les savoir-faire liés au parfum en Pays de Grasse" à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ces "savoir-faire" comprennent "la culture de la plante à parfum, la connaissance des matières premières naturelles et leur transformation, l'art de composer le parfum". Parmi les représentants de ce patrimoine, Jean-Claude Ellena. Enfant du pays, il aura été jusqu'au 1er janvier 2018 le parfumeur de la maison Hermès. Il restera celui à qui l'on doit Terre d'Hermès, Un Jardin en Méditerranée, mais aussi First ou Eau Parfumée au Thé Vert. Un des plus grands parfumeurs au monde, qui n'a pas oublié ses origines. Les champs de jasmin où travaillait sa grand-mère, l'odeur de son enfance, celle des vacances à Séranon, et de la boîte à biscuits "un peu moisie" qu'il ouvrait pour y chiper des gâteaux... Son dernier livre, "L'écrivain d'odeurs" (éd. Nez), nous fait découvrir le monde mystérieux des parfums mais aussi, plus largement, celui des odeurs.
 

Pour Jean-Claude Ellena, le parfum est un art : c'est "[son] combat et [sa] manière de penser". "Je désire que ce soit un art", dit-il. Et non pas un produit standardisé à force de contraintes marketing

 

Jean-Claude Ellena, l'autodidacte

L'élève médiocre a trouvé sa passion dans les laboratoires Antoine-Chiris à Grasse, avant de faire un passage - plus court que les autres - par l'école Givaudan. Des lieux où il a "pénétré dans l'odeur" et fait l'expérience d'un monde "bienveillant". Avait-il un don pour la parfumerie ? "Sans travail il n'y a rien !" répond-il. Et le premier travail du parfumeur c'est de développer sa mémoire olfactive. "C'est surtout avec la mémoire des odeurs que l'on travaille."
 


©RCF / Thierry LYONNET - Jean-Claude Ellena dans son bureau de Cabris (Alpes-Maritimes)

 

Dans son laboratoire à lui, environ 1.500 produits en moyenne. Et sur son bureau, rien ou presque. Tout part de ce à quoi il pense. De la formule qu'il écrit sur une feuille. Vient ensuite le travail des mots. Pour convaincre son client ou son responsable, le parfumeur doit raconter l'histoire de la fragrance qu'il a créée. Ça tombe bien Jean-Claude Ellena aime les mots. Et comme son mentor Edmond Roudnitska il apprécie de raconter son métier. En 2011 par exemple, avec "Journal d'un parfumeur", voire avec "La Note verte" en 2013 (éd. Sabine Wespieser).
 

Le parfum ou "la nécessité de la futilité dans la vie"

On a souvent reproché à Jean-Claude Ellena de faire "des choses futiles". "Mais quelque part on a besoin de quelque chose de futile !" "Le parfum n'est pas un luxe ou alors il est le plus indispensable des luxesLes parfums permettent d'affronter et souvent de vaincre le mystères les plus terribles", écrit Jean Giono ("La chasse au bonheur", 1988) - l'écrivain favori du parfumeur. Pour Jean-claude Ellena, le luxe, ça ressemble surtout à "la table familiale" ou "les repas entre amis", la nourriture partagée, les paroles échangées, les instants vécus ensemble. "Le luxe n'est pas synonyme de cher". (Et d'ailleurs, certains parfums sont assez peu cher si l'on regarde le temps passé à les créer !)
 


©RCF / Thierry LYONNET - Depuis le bureau de Jean-Claude Ellena, vue sur l'arrière-pays grassois

 

On ne saura jamais si celui qui se parfume entend se cacher ou au contraire se montrer, s'il se parfume pour lui ou pour un autre. Le parfum est un mystère, c'est bien pour cela que Jean-Claude Ellena a souhaité démystifier le métier de parfumeur. À quoi bon entourer l'acte créatif de tant de cachotteries, quand de toute façon de cet art naîtra un subtil mélange d'odeurs ? En 1976, pour son premier grand succès, First, de Van Cleef & Arpels, il a utilisé 160 matières premières. 45 ans plus tard, pour un autre grand succès, son Eau parfumée au thé vert, pour Bulgari, il n'a réuni que... 19 composants ! Le résultat d'une "recherche intellectuelle" et d'une quête esthétique de l'épure. Un peu comme les peintres japonais maîtrisent l'art du trait pour aller à l'essentiel. Pour répondre à cette question : au fond, qu'est-ce que je veux exprimer ?
 

L'art du parfum, sublimer le réel

Reproduire les odeurs qui existent déjà dans la nature, cela n'a pas grand intérêt pour un parfumeur. Car ce qui est fascinant c'est de sublimer le trivial et d'aller à l'extrême raffinement. Dans la civette ou l'urine de chat vous avez des odeurs très désagréables, mais qui, entremêlées à d'autres effluves - et avec le bon dosage - sont un ravissement. L'art du parfum se nourrit "des cultures, des pays, des gens". De la vie. Dans "L'écrivain d'odeur", Jean-Claude Ellena raconte les voyages qui l'ont inspiré, la Tunisie, le Japon, la Chine, ou l'Inde. "Quand je suis en état de création, tous les sens sont ouverts, pas seulement le nez, mais les oreilles..."
 


©RCF / Thierry LYONNET - Jean-Claude Ellena : "Je désire que le parfum soit un art"

 

"Le parfum est quelque chose d'impalpable, de non visible, et pourtant de très présent." Rien que ça c'est "absolument extraordinaire et merveilleux". Pour Jean-Claude Ellena, le parfum est un art : c'est "[son] combat et [sa] manière de penser". "Je désire que ce soit un art." Et non pas un produit standardisé à force de contraintes marketing. Ce à quoi avait tenté de répondre la parfumerie dite "de niche" dès la fin des années 70. Mais ce type de parfumerie fait aujourd'hui débat.

Promise à l'origine à un public restreint, libérée des contraintes marketing, plus créative, plus audacieuse... La parfumerie de niche est-elle victime de son succès ? Quand on voit un grand nombre de ses marques rachetées par des grands groupes, tout porte à le croire. Et cependant, le succès des Mooc proposés par l'Isipca ou de la revue Nez, montrent aussi un réel regain d'intérêt pour l'art du parfum. Comme l'a dit l'historienne et anthropologue spécialiste de l'odorat Annick Le Guérer, le XXIe siècle sera olfactif ou ne sera pas,

 

Entretien réalisé en décembre 2017

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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