Hommage à Françoise Héritier
La grande ethnologue et anthropologue Françoise Héritier est morte dans la nuit du 14 au 15 novembre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Celle qui succédait en 1982 à Claude Lévi-Strauss était début novembre sur RCF à l'occasion de la sortir de son livre "Au gré des jours" (éd. Odile Jacob). Elle écrit: "J'ai toujours eu ce sentiment - et je l'ai encore à bientôt 84 ans - de n'être pas à ma place, d'être une intruse, presque une usurpatrice. Je sais que c'est faux et que tout provient de l'éducation que j'ai reçue, qui faisait des filles des sous-produits, à côté de l'humanité accomplie que représentaient les hommes."
© DRFP - Françoise Héritier est morte dans le 15 novembre 2017
Françoise Héritier, le courage face à la maladie
Françoise Héritier c'est cette intellectuelle connue et reconnue pour ses travaux d'ethnologue et d'anthropologue, qui a travaillé toute sa vie sur les rapports entre les hommes et les femmes, et à qui il a fallu des années pour "libérer [sa] parole". Des morts qui résonnent fort aujourd'hui, alors que dans les médias et sur les réseaux sociaux on dénoncent les formes de domination masculine.
En fait, c'est dès 2012 que Françoise Héritier a su dire qui elle était vraiment, casser l'image "hautaine" d'intellectuelle qu'elle se devait d'entretenir. 2012, l'année de la publication du "Sel de la vie", où elle partageait son émerveillement des choses de la vie, se sachant depuis 1983 victime d'une maladie auto-immune. On lui donnait alors cinq ans d'espérance de vie. "Je suis vaillante", nous confiait-elle avec un sourire. Vaillante et dotée d'une capacité de "faire face aux événéments". Née en 1933, Françoise Héritier avait des souvenirs traumatisants de la guerre. "De la sidération et de l'étonnement est née une forme, non pas d'indifférence à ce qui arrive aux autres, mais une relativité du malheur : il faut être capable de faire face."
"Être féministe pour moi c'est vivre de façon nécessaire et immédiate et sans avoir à se poser de question là-dessus, la vérité de l'égalité"
Françoise Héritier, L'ethnologue et la femme
"Comment ai-je pu faire mon éducation intellectuelle dans un milieu qui était à priori si peu favorable et si peu encourageant?", s'étonnait Françoise Héritier. Elle qui a fait dans les années 50 une rencontre décisive avec Claude Lévi-Strauss, alors enseignant à l'Ecole pratique des hautes études. Sa découverte des pelottes de chasse des Iroquois ou de la parenté à plaisanterie chez les Mossis du Burkina Faso, opéra chez elle "la révolution cognitive de découvrir la diversité culturelle et l'universalité des processus mentaux". "J'ai pris conscience à ce moment-là que, contrairement à ce que disent les essentialistes, il faut qu'il y ait des cultures différentes pour qu'on ait conscience de l'universalisme de leur base."
"Dans la plupart des sociétés du monde, on considère que la divinité suprême a mis les femmes à la disposition des hommes, les utérus féminins sont l'instrument par lequel l'home pourra avoir des fils." Françoise Héritier est la théoricienne de "la valence différentielle de sexes", c'est-à-dire du "poids des représentations mentales constructrices du genre". La façon dont on associe le haut, le froid, le sec au masculin et le bas, le chaud et l'humide au féminin. "La base de toute société c'est cette valence différencielle des sexes - on pourrait dire domination masculine mais ce serait sans espoir!"
© DRFP
Le féminisme de Françoise Héritier
La domination masculine, Françoise Héritier confie par une anecdote qu'elle en a fait l'expérience jusque dans les murs du très prestigieux Collège de France, lors d'une réunion entre chercheurs où elle était la seule femme, on lui a attribué la tâche subalterne de prendre des notes alors qu'elle était parmi ses pairs. "Il est fort possible qu'on jour où l'autre cette conception mentale nous la ferons tomber pour la remplacer par une autre." Les mentalités ont-elles changé aujourd'hui? "Il n'est pas donné malheureusement à toutes les femmes qui le méritent de franchir le plafond de verre surtout en entreprise", répondait-elle.
Si l'ethnologue n'était pas engagée au sein d'un mouvement féministe, elle n'a cessé de dire la domination masculine et d'en expliquer la construction. "Être féministe pour moi c'est vivre de façon nécessaire et immédiate et sans avoir à se poser de question là-dessus, la vérité de l'égalité. Mon féminisme à moi c'est d'être là posée immédiatement en égale." Et pour Françoise Héritier, "à l'heure actuelle le premier pas qu'il convient d'accomplir c'est d'obtenir l'égalité dans les métiers, les salaires, dans le système de promotion, dans la possibilité d'accéder librement aux espaces publics..." Après on pourra, selon elle, parler de différence et d'assymétrie. Sortira-t-on du modèle dominant de l'homme ? "C'est mon espoir ! avait-elle l'habitude de répondre, mais peut-être pas avant 500 ans !" Elle ajoutait : "Je pense qu'on peut y arriver par l'éducation."
Entretien réalisé en octobre 2017
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