S'engager comme chrétien dans l'espace public, un défi qui en vaut la peine
De manifestations en casserolades, Emmanuel Macron voit se durcir la colère contre sa personne. C'est le paradoxe d'un président aisément réélu, il y a tout juste un an, grâce à une solide base sociologique dont font partie bon nombre de chrétiens. En avril 2022, des études avaient également établi la percée du vote radical parmi cet électorat. Chez les pratiquants, cette tendance se vérifie davantage encore. Cette hétérogénéité n'est pas illogique et n'empêche en rien les chrétiens de peser dans le débat public.
Les experts ne savent plus où donner de la tête. L'effondrement des récits politiques et religieux qui structuraient le XXe siècle brouille l'offre autant que les clivages électoraux. Au soir du premier tour de la présidentielle de 2022, une enquête Ifop pour La Croix révélait que 40% des catholiques avaient voté pour un candidat de droite radicale, score de Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan confondus. Dans le même temps, 29% - tout de même ! - de ce segment électoral donnait son suffrage à Emmanuel Macron.
Il existe une forte hétérogénéité d'opinions dans le catholicisme
Une hétérogénéité qui questionne. "Les systèmes démocratiques libéraux, comme ils sont fondés sur la notion d'individu, hypertrophient la conscience, à l'inverse des régimes totalitaires", explique le père Bernard Bourdin, dominicain et expert en philosophie politique. Il faut attendre la suite du raisonnement pour que tout s'éclaire. "Forcément, ça a déteint sur les Églises en Occident, de sorte qu'il existe une forte hétérogénéité d'opinions dans le catholicisme par exemple", analyse l'auteur d'un récent ouvrage qui explore les liens entre christianisme et engagement politique*. "Comme dans l'islam", ajoute-t-il, lui qui en sa qualité d'enseignant constate concrètement la diversité qu'il décrit.
"L'Église a du mal à se faire entendre"
Une donne qui porte le dominicain à la nuance. "C'est une bonne chose, car cela veut dire que la conscience personnelle est respectée, et que l'on n'est pas enfermé dans des communautés", estime d'une part Bernard Bourdin. D'autre part, "cela a aussi un aspect négatif, c'est que l'Eglise a du mal à se faire entendre sur des questions un peu difficiles, et donc la visibilité des chrétiens risque de se dissoudre".
L'Église a du mal à se faire entendre sur des questions un peu difficiles, et donc la visibilité des chrétiens risque de se dissoudre
Alors que la parole chrétienne peine actuellement à peser dans l'espace public, le christianisme appelle-t-il par essence l'action politique ? Bernard Bourdin répond par l'affirmative, qui rappelle que le chrétien est naturellement porté sur le désir d'agir, étant "par définition celui qui vit dans l'espérance de l'accomplissement du royaume de Dieu". Ainsi, "nous vivons forcément dans l'ici et maintenant du royaume de Dieu qui commence", développe-t-il.
Investir le terrain politique
Si peu intuitif que cela puisse paraître, le théologien voit dans l'affaissement des matrices religieuses une occasion pour ses frères et sœurs chrétiens d'investir le terrain politique. "Je crois qu'il faut participer et peser dans le commun, d'autant plus qu'il n'y a plus d'idéologie politique structurante, énonce-t-il. Finalement, même le christianisme, dans sa faiblesse numérique actuelle, est en réalité la seule force spirituelle qui puisse apporter quelque chose". Le discours chrétien s'adresse à un public bien plus large qu'on ne croit. "Pas mal d'agnostiques me disent : ‘Réveillez-vous ! Ne parlez pas que de la pédocriminalité et des abus, vous ne parlez que de ça. Parlez du positif, on vous attend ! Parlez-nous de l'Évangile, de l'originalité de Dieu dans la société' ". Vaste programme pour cœurs ardents.
*Bernard Bourdin, Le chrétien peut-il aussi être citoyen ?, Editions du Cerf, 2023, 22 euros.
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