Parachutage : un sport très politique
C’est un grand classique de la vie politique en période d’élections locales : le parachutage. Les législatives de juin des 12 et 19 juin ne font pas exception à la règle. Par agenda personnel ou par calcul électoral, certains candidats se présentent dans des circonscriptions qu’ils ne connaissent pas et dans lesquelles ils n’ont aucune attache.
Un peu plus d’un mois avant les législatives, les candidats ne sont pas encore investis, mais des cas de parachutage remontent déjà dans la presse. Le plus médiatique est pour l’instant celui du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Ancien haut fonctionnaire, jamais élu, devenu ministre, cherchant un point de chute après le quinquennat, il veut poser ses valises dans le Loiret. Un cas d’école de parachutage.
Les Insoumis sont aussi des champions de la discipline pour l’édition 2022. L’exemple de Gabriel Amard, gendre de Jean-Luc Mélenchon est éloquent. Après avoir été maire de Viry-Châtillon, élu en Essonne ou encore au sein de la région Île-de-France, il est aujourd’hui parachuté à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise. Même chose pour l’ancien journaliste militant Taha Bouhafs, qui a rejoint les rangs LFI et qui se retrouve aujourd’hui propulsé à Vénissieux, bastion communiste. Avec en face lui, probablement un autre parachuté pour le parti Reconquête d'Éric Zemmour, Bruno Attal.
Presque une tradition
Ces noms viennent s’ajouter à la longue liste des parachutés politiques de l’histoire. Car le phénomène n’est pas nouveau. Il est même “aussi vieux que la République” précise Christophe Bellon, maître de conférence en histoire contemporaine à l’université catholique de Lille, spécialiste de l’histoire parlementaire. Il apparaît surtout “à partir de la Troisième République, lorsque véritablement les institutions républicaines s'installent pour durer”. Aristide Briand élu député à Saint-Étienne et Georges Clémenceau, dans le Var, sont des pionniers du parachutage.
“Il faut aussi comprendre le parachutage en l’articulant avec la naissance des partis politiques au début du XXᵉ siècle, lorsque des courants structurés naissent”, ajoute Christophe Bellon. “La S.F.I.O., ancêtre du Parti socialiste doit par exemple envoyer dans les départements français des personnalités pour faire vivre ce parti qui n'existe pas de partout sur le territoire”. Des socialistes sont donc parachutés en province depuis Paris.
Les gaullistes feront la même chose au début de la Ve République. “Ils avaient aussi besoin d'avoir des circonscriptions qui n'étaient pas forcément celles dans lesquelles ils étaient implantés”. Le premier Premier ministre de la Ve, Michel Debré est un autre cas d’école. Lorsqu'il quitte le gouvernement en 1962, il doit absolument chercher une circonscription. Après une défaite en métropole, il est envoyé par le pouvoir à la Réunion où il sera député pendant plus de 17 ans, cumulant avec des mandats locaux en Indre-et-Loire… Une leçon de souplesse.
Archétype du parachuté
Depuis le temps que ce phénomène existe, des chercheurs ont eu le temps d’établir quelques profils type de parachutés. Le politologue Jean Petaux relève l’importance de la proximité avec le pouvoir, notamment du chef de l’État qui “détient cette forme de pouvoir indirect de désigner, presque d’offrir un territoire”. L’équation est aussi possible pour les formations qui ne sont pas au pouvoir. Pour la France Insoumise, les parachutés sont “proches du pouvoir à l’intérieur du parti. Ils ont des ressources relationnelles ou une force symbolique suffisante” complète-t-il.
La condition sine qua non est de se faire adouber par la population militante sur le terrain
Autre type de parachuté : “une personnalité de l’appareil politique d’un parti qui peine à se faire réélire”. En quête de légitimité, le pouvoir va donc chercher à l’implanter quelque part. Christophe Bellon les désigne comme “les candidats nomades”. Il distingue ensuite une deuxième catégorie : “les haut-fonctionnaires qui ont œuvré en cabinet ministériel et qui veulent se lancer en politique”. Enfin, il existe de plus en plus fréquemment un troisième profil issu de la société civile. “Ce sont des personnalités qu’on veut présenter aux élections parce qu’elles ont acquis une popularité en dehors de la politique” développe Christophe Bellon. C’est typiquement le cas de Taha Bouhafs à Vénissieux.
Reste que le parachutage est un sport parfois dangereux et qu’il y a quelques bases à savoir pour éviter la chute libre. “La condition sine qua non est de se faire adouber par la population militante sur le terrain, il faut envoyer des signaux forts” explique Jean Petaux. “Il faut que l'accueil, notamment des militants locaux, soit le plus favorable possible” abonde Christophe Bellon. “Prenez l'exemple de l'ancien conseiller en communication de François Hollande, Gaspard Gantzer, qui avait été parachuté à Rennes en 2017, mais qui n'a pas pu continuer la campagne parce que les militants marcheurs locaux l'ont décidé ainsi”.
Tensions locales
Preuve que la campagne a bien commencé, à Villeurbanne, le futur candidat insoumis Gabriel Amard a déjà démarré le travail en rappelant dans les colonnes de La Tribune de Lyon que ses arrières grands-parents, sa grand-mère, puis sa mère “ont vécu, travaillé et œuvré dans cette ville”.
L’atterrissage local peut parfois s’avérer compliqué lorsque la base militante ne voit pas le parachutage d’un bon œil. C’est le cas par exemple à Paris dans le 13e arrondissement. La candidate Europe Écologie Les Verts, Claire Monod à vu l'ex-candidate à la primaire écologiste, Sandrine Rousseau, s'auto parachuter et lui damer le pion dans la circonscription. “Elle cherche visiblement une forme de reconnaissance dans une candidature parisienne” s’agace Claire Monod “Ce que je juge, c'est l'écart entre les valeurs avancées, le projet politique porté, singulièrement par Rousseau, et l'attitude, le comportement dans la vraie vie. Elle ne peut pas d'un côté dire qu'elle va défendre la sororité politique et de l'autre venir faire le coucou sur une circonscription où il y a une femme politique qui se bat et qui essaye de s'installer depuis des années, en ne tenant aucun compte de l'endroit où elle arrive, en n'ayant pris aucun contact”.
Ha ha ha la politique à la papa
— Claire Monod ?? (@ClaireMonod) February 20, 2022
? Je fais la leçon
? Je suis mauvaise perdante
? J’écrase les (autres) femmes
? Je flingue la campagne
? J’emm… les militant•es
? Je me parachute
Et bien sur
? je suis la victime
Les temps ne changent pas @sandrousseau#Jadot2022 #WakeUp https://t.co/Whmdpo6LMO
Le parachutage peut aussi prendre des formes plus stratégiques à l’échelle d’un parti cette fois. C’est l’idée des Insoumis dans le cadre de l’union à gauche. Ils catapultent Gabriel Amard à Villeurbanne, car Jean-Luc Mélenchon a rassemblé 38,7 % des suffrages au premier tour de la présidentielle. Même chose dans la commune voisine de Vénissieux le leader Insoumis était à 48,78 % contre 17,97 % pour Emmanuel Macron. Sauf que là encore, la candidature de Taha Bouhafs au nom de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) fait grincer des dents.
Depuis 15jr je subis une campagne acharnée, massive et organisée de diffamation et d’injure, sur tous les plateaux de télévision et de radio.
— Taha Bouhafs ? (@T_Bouhafs) May 6, 2022
On a tout dit de moi. Rien ne m’a été épargné. Sans qu’une seule fois je sois invité pour me défendre.
Je suis écœuré et épuisé. pic.twitter.com/sE6ElS2UkC
“Les parachutés sont comme des VIP… Ils arrivent sur les territoires comme si c’étaient des terrains de jeu” s’insurge la maire communiste de Vénissieux Michèle Picard qui entend bien maintenir sa candidature malgré l’accord entre le Parti communiste et les Insoumis. “On fait fi des gens qui sont implantés, qui peuvent rassembler, qui connaissent leur territoire, qui connaissent les habitants, qui connaissent leurs aspirations, leurs problématiques, leurs espoirs et qui peuvent porter un certain nombre de sujets au niveau national”.
"Parachutage progressif"
Finalement, pour bien réussir son parachutage, il vaut mieux opter pour une option en douceur. Une forme de descente en parapente. Christophe Bellon appelle cela le “parachutage progressif”. Cela concerne souvent des candidats qui sont déjà en politique et qui cherchent une circonscription. “Ils vont en fait se présenter comme le suppléant d'un député candidat avant de devenir député à leur tour. C'est l'exemple en Haute-Loire de Laurent Wauquiez, qui était parachuté en 2002. Il est député suppléant de Jacques Barrot, qui accomplit là son dernier mandat. Et lorsqu'en 2004 Jacques Barrot devient commissaire européen, Laurent Wauquiez devient député à sa place.”
Il y a clairement une identité narrative à ces histoires de parachutages
Le parachutage est un classique de la politique, pour autant, ça reste un phénomène qui n’est pas majoritaire. “La politique, désormais, est soumise à une question nouvelle : celle de l'éthique” analyse Christophe Bellon. “Or, un parachutage ne rentre pas toujours dans la conception de l'éthique. En politique, on considère qu'un candidat doit se présenter dans la région qu'il connaît et dans laquelle il est implanté.” La décentralisation a probablement aussi joué un rôle en changeant la notion de territoire. “Un élu qui est implanté dans les collectivités locales est mieux vu lorsqu'il y est candidat que quelqu'un qui arrive et qui n'a pas de lien et qui est candidat” confirme l’historien.
Comme souvent les médias font office de miroir grossissant. Si ces histoires de parachutages intéressent, c’est aussi parce qu’elles racontent des histoires. “Il y a une dimension de récit” assure Jean Petaux. “Un candidat déboule dans un territoire inconnu et ce sont souvent des journalistes de la presse nationale, quotidienne ou hebdomadaire, qui suivent le candidat en question dans son approche d'un nouveau territoire. Eux-mêmes découvrent cet espace. Il y a donc clairement une identité narrative à ces histoires de parachutages” conclut le politologue.
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