L'exact présent
C’est la couverture de son petit livre Les Américains. On y retrouve sa patte : le noir et blanc, la tristesse, le cadrage faussement approximatif, et une scène du quotidien pris à la volée.
Une journaliste américaine, très douée pourtant, Janet Malcom a écrit que Robert Frank « a produit des photographies donnant l’impression qu’un enfant les a prises en mangeant une glace et les a fait développer au drugstore du coin ».
Ce n'est pas très sympa, mais ça ne voulait pas l’être : je trouve que c’est un compliment d’une certaine façon. Les photos de son petit livre n’ont pas été prises en mangeant une glace. Au contraire…
En 1955, il obtient une bourse de la fondation Guggenheim, et pendant trois ans, il sillonne les Etats-Unis, il produit 27000 clichés et il n’en garde que 83.
LOIN DES PHOTOS DÉVELOPPÉES AU DRUGSTORE
Mais cela en a l’allure, car ses images semblent très authentiques. Très vraies.
Si on revient à la photo de couverture, le sujet est simple : ce sont des passagers dans un tramway. Pas de décor : on ne voit ni le ciel, ni les trottoirs de la nouvelle Orléans. C’est le tram qui occupe tout le cadre, l’acier qui occupe les deux-tiers de l’image. Et au milieu, les passagers à la fenêtre. Une construction géométrique. Dans un premier carré : la femme élégante, sac en cuir sur les genoux qui nous regarde avec dédain, les lèvres pincés. Fenêtre d’à côté, des enfants, un petit garçon blanc en costume, très élégant, avec la main à plat, et une petite fille dans les bras de sa nounou qui pleure. Fenêtre d’à côté, un homme noir, qui laisse pendre sa main, et qui semble nous supplier du regard. Fenêtre d’à côté, une femme noire elle-aussi, qui regarde vers la droite, vers la suite du bus, invisible pour nous. Le titre ne mentait pas : c’est un vrai portrait des Américains des années 50, côte à côte, mais pas ensemble. Quelques semaines après, une certaine Rosa Parks refusera de se déplacer à l’arrière du bus. C’est l’Amérique de 1955 à l’arrêt. Figée dans l’instant.
CE SONT AUSSI DES HOMMES ET DES FEMMES ORDINAIRES…
Robert Frank a été un des pionniers de cette « photographie de rue », qui s’intéresse aux laissés pour compte, aux travailleurs manuels, aux vagabonds. Les journaux en papier glacé célébraient de leur côté l’American way of life, avec les mamans qui préparent des tartes aux pommes, les hommes qui conduisent des décapotables, les enfants qui jouent sur des pelouses bien vertes… Si le livre a d’abord fait un flop, c’est qu’il fallait sans doute un peu de distance dans l’espace ou dans le temps pour en savourer la valeur. Pas un hasard si ce livre est d’abord paru en France. Pas un hasard non plus, si avec les années, il est devenu un livre culte, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la photographie, et qui est cité par de nombreux photographes comme un ouvrage fondateur.
ET DANS PHOSPHORE, VOUS VOUS ESSAYEZ A LA PHOTOGRAPHIE DE RUE CETTE SEMAINE ?
Oui, à notre échelle… Mais notre photographe Chloé Volmer Lo est allée dans les rues de Paris à la rencontre d’ados. Des garçons et des filles de 14/19 ans, qui nous confient comment ils ont trouvé leur style.
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