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Les opérations "Place nette" peuvent-elles venir à bout du trafic du drogue ?

Les opérations "Place nette" peuvent-elles venir à bout du trafic du drogue ?

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 26 janvier 2024  -  Modifié le 26 janvier 2024
Le dossier de la rédaction Trafic de drogue : c'est quoi les opérations "Place Nette" ?

C’est le nouvel outil du gouvernement pour lutter contre le trafic de drogue : Emmanuel Macron veut développer les opérations “Place Nette”. Si ces actions coups de poings n’ont rien de nouveau sur la forme, la volonté de les généraliser acte certains choix stratégiques : une présence policière sur le terrain, une politique du chiffre et une volonté de communication. Néanmoins l’efficacité réelle et pérenne de ces opérations, pour vraiment démanteler les trafics, pose question.

La compagnie CRS 8 procède a des interpellations à Dijon suite au décès d'un habitant tué par balle a son domicile a cause d'un règlement de compte sur un point de deal, le 27 novembre 2023. / Photo Arnaud Finistre by Hans Lucas La compagnie CRS 8 procède a des interpellations à Dijon suite au décès d'un habitant tué par balle a son domicile a cause d'un règlement de compte sur un point de deal, le 27 novembre 2023. / Photo Arnaud Finistre by Hans Lucas

3 milliards d’euros : c’est le chiffre d'affaires annuel du marché de la drogue en France. 450 : c’est le nombre de victimes d’actes liés au trafic de stupéfiants en 2023. Parmi elles : 30 % ont moins de 20 ans. Un fléau auquel l’exécutif tente de répondre par plusieurs moyens, dont les opérations “Place Nette".

Opération coup de poing 

Lors de sa grande conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a annoncé son intention de conduire dix opérations de ce type chaque semaine. L’objectif de ces actions coup de poing est de pilonner des points de deal pendant plusieurs jours. “Ces opérations s’appuient sur un travail préparatoire des policiers locaux qui ont la connaissance des points de deal” témoignage Régis Castro, le sous-préfet du département du Loiret, qui a supervisé une opération “Place Nette” à Montargis du 5 au 8 décembre dernier.

“L’opération est organisée en lien avec les policiers locaux, avec le commissariat de Montargis, avec la direction de sécurité publique d’Orléans et avec les CRS qui viennent exprès avec des modes opératoires, des méthodes d’intervention et du matériel spécifiques” explique Régis Castro. Ces fameux CRS font partie des brigades CRS 8 médiatisée par Gérald Darmanin pour lutter contre les violences urbaines et le trafic de stupéfiants. “Ils ont une technique opératoire spécifique que les policiers du commissariat n’ont pas l’habitude d’expérimenter” analyse le sous-préfet.

Opération de sécurisation et de contrôle de la Compagnie républicaine de sécurité CRS8 spécialisée pour lutter contre les violences urbaines et le trafic de drogue, en novembre 2023 / Photographie de Nicolas Guyonnet by Hans Lucas.

Il s’agit donc d’une action de voie publique qui vise les halls d’immeuble, les caves, mais aussi certains commerces qui peuvent servir de base arrière au trafic de drogue. Matériellement, le bilan de l’opération à Montargis se chiffre à 7 interpellations ainsi qu’à la saisie de 12 000 euros et de 1,5 kg de stupéfiants.

Tranquillité publique ? 

En outre, ces opérations “déstabilisent l’économie des points de deal” assure Régis Castro. “On voit bien que ça bouge dans ces zones depuis décembre” continue-t-il. Il y a eu des violences urbaines, des tirs que le haut fonctionnaire attribue à “des guerres de territoire”. D’ailleurs, la CRS 8 a dû intervenir deux fois depuis. “Ce genre d’opération peut avoir un intérêt en termes de tranquillité publique” avance Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé à l'université de Montpellier et spécialiste du droit de la drogue. “Vous allez évincer des trafiquants pendant un temps donné et c’est toujours appréciables pour les riverains qui se plaignent du trafic” abonde Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), spécialiste des questions de sécurité.

Les opérations "Place Nette" ne mettent pas fin au trafic

Seulement, il ne s’agit que d’un répit. Et un répit est, par essence, temporaire. Les opérations “Place Nette” vont au mieux déplacer le trafic, qui finit souvent par revenir. “Ça se limite à quelques jours dans le meilleur des cassouligne Mathieu Zagrodzki. “Cela ne met pas un terme au trafic” confirme Yann Bisiou.

Le problème, c’est que pour ce moment éphémère de tranquillité, à Montargis, 70 agents ont été mobilisés. “Il s’agit d’un déploiement massif pour qui permet d’organiser des opérations sécurisées” explique le sous-préfet Régis Castro. “Par leur nombre, les dealers peuvent avoir une résistance importante et les policiers du quotidien n’ont pas forcément les effectifs suffisants pour mener ce type d’opération” poursuit-il. 
Sauf que l’équation finale interroge Yann Bisiou. Le ratio entre le nombre d'agents mobilisés et le nombre de personnes interpellées ou le poids de drogue saisi est très faible” décompte le chercheur. Selon son analyse, ces opérations mobilisent énormément de moyens pour un résultat plutôt faible.

"Remettre du bleu sur le terrain”

Nous sommes déjà à 130 % de nos capacités et nous avons des échéances prestigieuses avec les 80 ans du débarquement et les Jeux olympiques cet été”, lance Rudy Manna, porte-parole du syndicat Alliance Police. “Ça va être très compliqué pour les policiers qui sont déjà au maximum de leur engagement de se sur-engager pour ces opérations avant de se sur-sur-engager pour les événements de l’été” prévient-il.Le fait de systématiser ces opérations “Place Nette”, qui mobilisent énormément de moyens, est un choix politique, car cela signifie que ces effectifs ne seront pas affectés à d’autres missions” complète Yann Bisiou.

Ces opérations peuvent avoir un effet rassurant et cela donne surtout l’image d’un État volontariste qui agit sur le terrain

Comment, alors, expliquer ce choix politique d’Emmanuel Macron ? “Ces opérations induisent une présence visible des policiers" avance Mathieu Zagrodzki. “Cela peut avoir un effet rassurant et cela donne surtout l’image d’un État volontariste qui agit sur le terrain” développe-t-il. L’objectif est un peu le même qu’en octobre dernier lorsque 238 brigades de gendarmerie ont été créées dans toute la France. Il s’agit de “remettre du bleu sur le terrain”, de montrer la présence de l’État dans l’espace public via le prisme sécuritaire.

“Ce n’est pas complètement inutile, mais la politique de lutte contre les trafics ne peut pas se résumer à ces opérations” insiste le chercheur. Car le trafic de drogue est une économie avec des producteurs, des transporteurs, des gens qui gèrent les points de deal et des revendeurs en bas de l’échelle. Avec les opérations “Place Nette”, on s’attaque à ces petites mains, mais pas au réseau. “Ce n’est pas ça qui va stopper le trafic et la consommation de drogue” alerte Mathieu Zagrodzki. “Il faudrait travailler sur l’intégralité de la chaîne” diagnostique-t-il.

D’autant que le fonctionnement de cette chaîne est en pleine mutation. La vente de stupéfiants se fait maintenant à d’autres endroits que sur la voie publique. “Aujourd’hui il y a la possibilité de passer des commandes via des applications sécurisées voir même des messageries de réseaux sociaux avec des livraisons à domicile explique le spécialiste des questions de sécurité. “Le trafic se transforme depuis cinq ans confirme Yann Bisiou. “On va déjà de moins en moins sur les points de deal et je pense que les opérations de l’État vont simplement accélérer cette mutation du trafic qui ne va pas disparaître, mais plutôt se recomposer ailleurs sous une autre forme” conclut-t-il. 

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Le dossier de la rédaction © RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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