Le pardon et la réconciliation : pas si évident !
En février dernier, le déclenchement de la guerre en Ukraine a rappelé au continent européen que la paix n’était jamais acquise. Alors que le conflit s’enlise, l’approche de Noël est une occasion de nous interroger sur les ressorts du pardon et de la réconciliation. Qu’elle ait lieu sur le plan individuel ou collectif, la construction de la paix nécessite l’écoute du vécu de chacun.
Avant la réconciliation vient le pardon
La réconciliation nécessite d’abord de pardonner, comme l’explique Adrien Serey, médecin généraliste à Tours. Il a été très marqué par l’assassinat de son cousin sous ses yeux, sur un parking de boite de nuit en Corse. Il fait une distinction claire entre pardon et réconciliation : "Le pardon est un mouvement individuel, il ne suppose pas le consentement de l’autre. J’ai pardonné l’homme derrière le meurtrier de mon cousin, non pas l’acte. L’étape d’après, la réconciliation, suppose de renoncer à la vengeance, d’accepter l’autre dans son humanité".
Pour les croyants, la volonté du pardon est parfois initiée par la transcendance. Adrien Serey a réussi à pardonner au meurtrier grâce à son ouverture à Dieu : "Je ne sais pas l’expliquer, c’est une force qui est venue me donner la possibilité de pardonner. Elle provient certainement de la brèche ouverte sur la vie spirituelle dans mon enfance". Pour Eric Denimal, théologien et pasteur, il ne fait aucun doute que la libération vient d’une dimension de grâce : "parfois, le pardon nécessite une force supplémentaire qui est supérieure, qui ne vient pas de nous. Il faut une visitation réelle comme l’explique Adrien".
Comment construire une paix qui dure ?
Pour réussir à construire la paix, il est essentiel d’écouter et de prendre en compte le vécu de chacun. La démarche d’Anne-Marie, une auditrice de 78 ans, en témoigne. Maltraitée par sa mère pendant 18 ans, elle a réussi à faire la paix avec elle en échangeant sur leurs points de vues respectifs : "La discussion m’a permis de comprendre pourquoi elle s’était comportée ainsi avec moi : elle me considérait comme son ennemi car elle ne me voulait pas, elle voulait un garçon".
Le respect du parcours de vie de chacun est une étape importante pour construire la paix, comme en témoigne la pratique quotidienne des avocats aux affaires familiales. Maître Corinne Thulier-Desurmont, avocate au barreau de Lille spécialisée dans le droit de la famille, témoigne de cette stratégie : "Il faut laisser s’exprimer le ressenti de l’un et de l’autre conjoint sans en mépriser aucun". La notion de temporalité est centrale : "il faut que les personnes acceptent ce qui est en train de se passer pour pouvoir construire autre chose, sinon le processus est bloqué. Elles doivent reformuler leur vécu parfois à l’aide d’un médiateur qui maîtrise la communication non-violente".
Le pardon reste toujours une épreuve
La recette d’une réconciliation réussie est à situer entre respect de ses propres valeurs et un compromis avec l’autre, comme l’exprime Maître Corinne Thulier-Desurmont : "Un événement qui fait rupture génère une perte de confiance en l’autre et donc de la peur. Il est alors nécessaire de se reconnecter à soi et à ses valeurs. Il faut chercher à se projeter sans chercher à humilier l’autre et respecter les intérêts des deux parties".
Même à l’échelle internationale, on retrouve ces mécaniques individuelles comme l’explique François Cochet, professeur émérite des universités en histoire contemporaine : "Pour signer la paix, les peuples sont rarement consultés. Ce sont des hommes qui initient le processus. Par exemple, les valeurs chrétiennes du pardon et la volonté de réconciliation se sont bien exprimées lors de la messe partagée à Reims entre De Gaulle et Adenauer en 1962".
La réconciliation reste avant tout une question d’intérêt rappelle François Cochet : "La réconciliation politique est tout sauf spirituelle : elle est stratégique. Pour que la paix dure, il faut avoir des intérêts communs. En cas de crise, cela devient plus compliqué, comme par exemple entre la France et l’Allemagne : en pleine guerre en Ukraine, l’Allemagne a choisi de se réarmer avec des avions américains et non français, alors que la France s’était équipée avec des canons allemands".
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