Je veux vous parler d’un pays dont on parle très peu dans les médias, c’est le Congo-Brazzaville. Si j’en parle aujourd’hui, c’est que les évêques congolais viennent de lancer ce qui s’apparente à un appel au secours : « Nous appelons les Églises sœurs du nord, écrivent-ils, à porter [notre] message auprès de leurs gouvernements respectifs pour que les fonds détournés au Congo soient restitués aux populations congolaises. »[1]
Pour comprendre, il faut rappeler que le Congo est un pays riche : un territoire vaste comme l’Allemagne, des ressources forestières inestimables[2], et un sous-sol riche en minerais, en gaz et en pétrole. Avec toutes ces richesses, les Congolais devraient être prospères, ils ne sont que 5 millions ! Et pourtant, écrivent les évêques, « Notre pays est incapable de payer les salaires des travailleurs, les pensions des retraités, les bourses des étudiants. Nos hôpitaux sont délabrés, la mortalité ne cesse d’augmenter. Dans les familles, même le repas unique apparaît de plus en plus comme un privilège ». Et je vous passe ce qu’ils disent des suicides, du chômage endémique des jeunes et de la dette qui explose.
En résumé : un pays riche, une population pauvre. Les spécialistes ont inventé un concept pour désigner ce type de situation : ils parlent de « malédiction des ressources ». Je voudrais ici tordre le cou à cette expression : quand on parle de « malédiction », on donne l’impression que des forces surnaturelles s’acharnent sur les pays riches en pétrole. Comme s’il s’agissait d’une fatalité. Or les responsables de cette tragédie sont parfaitement identifiés.
Le premier responsable, c’est Denis Sassou Nguesso. L’homme fort de Brazzaville a conquis le pouvoir il y a bientôt quarante ans. Après douze ans à la tête de l’État, il avait déjà fait 3000 morts[3]. Ecarté à la faveur de la seule véritable élection démocratique qu’ait connu le pays, il a reconquis le pouvoir au prix de guerres fratricides, entre 1997 et 1999. On parle de 20 000 à 100 000 morts. Depuis, Sassou s’accroche à son trône à tout prix. En 2015, la Constitution lui interdisait de se représenter : trop vieux, trop de mandats cumulés. Alors les Congolais se sont mis à espérer qu’ils allaient pouvoir « tourner la page »[4]. Mais Sassou est passé en force : il a modifié la Constitution à sa guise, maté les manifestations, envoyé ses troupes semer la terreur dans la région du Pool, sans qu’aucun journaliste ne soit autorisé à s’y rendre[5]. L’Onu parle de 138 000 déplacés. Ce mois-ci, une vingtaine de jeunes militants pro-démocratie ont été jetés en prison[6]. Et le tyran, via une justice aux ordres, règle même ses comptes avec ses alliés d’hier : 20 ans de prison contre le général Mokoko, qui avait osé le défier à la dernière présidentielle, 5 ans contre son ancien chef de la police, Norbert Dabira.
Mais un tyran, aussi cruel soit-il, ne tient pas sans appuis extérieurs. Or qui a financé la reconquête du pouvoir par Sassou, à la fin des années 90 ? C’est l’argent d’Elf (devenue Total), avec le soutien de plusieurs grandes banques françaises.[7] Qui a aidé le régime à berner le FMI, dans les années 2000 ? C’est encore Total, avec l’aide de la BNP Paribas et d’une kyrielle de paradis fiscaux[8]. Qui s’enorgueillit aujourd’hui d’être le premier donateur bilatéral du Congo ? L’Agence française de développement[9]. Pourtant, le Congo n’aurait pas besoin d’être aidé si l’argent du pétrole n’était pas volé !
Alors, pour vaincre la soi-disant malédiction, ce que demandent les évêques congolais est simple : restituer au peuple congolais les fonds détournés. Et il me semble qu’il faut entendre ici, non pas seulement les biens mal acquis du clan Sassou Nguesso, mais aussi les profits mal acquis des groupes français[10].
[1] https://cecongo.org/spip.php?article297
[2] Le Bassin du Congo abrite la deuxième forêt tropicale du monde (après l’Amazonie).
[3] Selon le chiffre donné par la Conférence nationale souveraine de 1991.
[4] C’est le nom que s’est donné une campagne internationale en faveur de l’alternance démocratique en Afrique.
[5] https://www.fidh.org/IMG/pdf/note_position_repression-a-huis-clos_12avril2017_final.pdf
[6] Cinq n’ont toujours pas été libérés. Cf. http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/18/au-congo-le-regime-de-sassou-nguesso-exprime-sa-toute-puissance-repressive_5301204_3212.html?xtmc=brazzaville&xtcr=1
[7] Cf. cette note écrite pour la Plate-forme Dette & Développement en 2007.
[8] Le journal Le Monde a récemment fait sa « une » sur cet épisode (dans son édition du 10 avril 2018).
[9] Cf. https://www.afd.fr/fr/page-region-pays/congo (consultée le 20 mai 2018) : « Avec des engagements de près de 600 millions d’euros octroyés sur la période 2011-2017, l'AFD s'affirme comme étant le premier partenaire bilatéral du Congo. »
[10] Bien sûr, il n’y a que les Français qui ont des intérêts économiques au Congo – on peut penser aux Chinois ou aux Italiens par exemple. Mais pourquoi leur renvoyer la balle ? La France porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle du Congo.
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