À l’aube de la COP 28, une « foule sentimentale » et paradoxale en quête d’avenir
Alors que la COP 28 s'ouvre ce jeudi 30 novembre à Dubaï, Je pense donc j'agis décrypte l'actualité de l'écologie et ausculte une humanité paradoxale : "foule sentimentale" qui "soif d'idéal" et se laisse capter par les sirènes de la consommation et du Black Friday. Entre espoir d'une transition enfin réelle et résistance au changement, le monde se cherche un avenir.
Evoquant l’actualité de l’écologie du mois de novembre, Marine Lamoureux, journaliste à La Croix l’Hebdo, Olivier Nouaillas, journaliste et auteur (voir notamment Le Grand atlas du climat) et Alexandre Poidatz, co-fondateur de Lutte et contemplation, constatent nos tensions permanentes, individuelles et collectives, entre notre conscience de l’urgence écologique et notre désir d’y répondre d’une part et tout ce qui freine la transition d’autre part. Cette tension se manifeste de manière particulièrement claire dans la polémique autour de la campagne vidéo de l’ADEME (Agence de la transition écologique) sur la dé consommation.
Polémique autour de la campagne de l'ADEME sur la déconsommation
Cette campagne a été validée par Christophe Béchu, le Ministre de la transition écologique qui, selon Le Parisien aurait déclaré devant la presse rêver d’un “Green Friday” pour contrecarrer la “fast fashion” et la “surconsommation”. Mais à la veille du Black friday, des associations de commerçants et de professionnels de la mode ont dénoncé cette campagne et demandé son retrait, estimant que cette campagne dénigre “des milliers d’entreprises, leurs millions de collaborateurs et leurs savoir-faire” et ne promeut “aucune des initiatives responsables mises en place par les enseignes de mode.” Suite à ces réactions, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a jugé sur France info la campagne “maladroite”, estimant que c’était “une façon de faire la promotion indirecte du commerce dématérialisé sur les plateformes”. Mais Christophe Béchu n’a pas désavoué la campagne, concédant seulement qu’il aurait été préférable de cibler les plateformes de vente en ligne.
"On a soif d'idéal"... et de consommation
Pour Marine Lamoureux, cet épisode "illustre qu’on est dans un monde complexe, que la transition ne va pas se faire en un claquement de doigts." Mais la "violence de la réaction" des commerçants l’a "confortée dans l’idée qu’on est très loin d’une certaine maturité de notre société pour au moins poser les questions." Et d’ajouter : "On est de nouveau dans une polarisation et ça m’a quand même un peu surprise parce que je suis pleine d’espoir et que je pense qu’on avance. Et quand il y a ce genre de polémique et de polarisation un peu stérile je me dis "bon ok, on en est encore là". Pour Olivier Nouaillas, "la polémique est significative du grand écart qu’on vit tous." Un grand écart, dont pour lui, la chanson "Foule sentimentale" d’Alain Souchon, l’une des chansons préférées des Français est emblématique : "On a tous soif d’idéal et en même temps nos mémoires sont pleines d’objets, donc on écoute Alain Souchon et on va regarder les promotions du Black Friday. Cette polémique est révélatrice de nos tiraillements entre une société de l’idéal et la possibilité d’acheter plein de choses à des prix soi-disant réduits".
Pour Alexandre Poidatz, la polémique autour de cette campagne a une vertu : c’est d’avoir mis la lumière sur cette campagne qui sinon serait sans doute passée assez inaperçue et de nous permettre ainsi de "nous interroger sur ce grand écart". Pour lui, l’une des explications de ce grand écart, l’un des "paradoxes de la transition écologique" s’ancre dans une question de temporalité : "à court terme tout le monde est attentiste alors qu’il faudrait investir dans quelque chose de long terme. Tout simplement ça a un coût à court terme et la question est de savoir qui va assumer le coût du poids de la transition à court terme. Ce que je trouve assez intéressant c’est que la campagne pose les mots, nomme les choses. On a tendance à parler de sobriété et là il est question de dé consommation. C’est vrai que c’est ça la sobriété : c’est réduire note consommation. Mais réduire la consommation va avoir des répercussions sur les producteurs et donc qui va assumer ce coût pour les producteurs ? Les producteurs vont regarder l’Etat, l’Etat va regarder les consommateurs, les consommateurs vont regarder les producteurs et on est face au classique triangle de l’inaction. Donc la réponse est complexe puisque c’est une situation complexe. Et l’effort doit être partagé par tous : évidemment les consommateurs, mais aussi les producteurs, mais aussi l’Etat, qui doit planifier organiser la transition pour les secteurs d’activité les plus polluants, et donc aider financièrement ceux qui vont le plus subir cette transition." Marine Lamoureux partage son avis sur le rôle de l’Etat, estimant que "à force de ne cibler que les consommateurs, on oublie que c’est un changement systémique et que c’est donc une question de planification et d’organisation pour que chaque acteur de la filière s’y retrouve. Mais c’est possible ! Il existe des travaux qui montrent des pistes très concrètes."
Le pape François, l'une des rares grandes voix universalistes à la COP 28
Lorsqu’il est question de la COP 28, le même paradoxe s’exprime : d’une part, un sentiment d’urgence et un souhait que les choses changent et en même temps le constat d’une lenteur à agir et de résistances fortes alors que l’on connaît pour une bonne part les solutions à mettre en œuvre. Alors le salut viendra-t-il du pape François qui se rendra à cette Cop 28 à Dubaï. Pour Olivier Nouaillas, la participation du pape est importante, "parce qu’aujourd’hui, des grandes voix universalistes qui prennent en compte la notion de bien commun il n’y en a pas tant que ça. Il faut reconnaître la constance du Secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres qui n’arrête pas de secouer l’inaction des Etats mais c’est vrai qu’il est bien seul. Et aujourd’hui les Etats se replient sur des solutions nationalistes à l’intérieur de leurs frontières, or le changement climatique est par essence une cause mondiale. On ne pourra pas le résoudre par une approche uniquement pays par pays. Donc cette dimension universaliste aujourd’hui il y a peu de voix pour la porter et le pape est une des personnes qui maintiennent ce flambeau et je pense qu’il va, fidèle à son style, un peu réveiller tout le monde".
Alexandre Poidatz pense lui aussi que la présence du pape sera un atout pour cette COP : "Il apporte une forme de leçon de réalisme politique, en se rendant à une COP où beaucoup de gens sont déjà pessimiste parce que c’est à Dubaï, un pays producteur de gaz et de pétrole, à l’origine de la crise climatique. C’est une forme de réalisme dans le sens où il n’appelle pas au boycott, il dit qu’il faut y aller et exercer une saine pression. Et il nous invite à rêver, il dit « je crois en la capacité humaine à transcender ses petits intérêts et à voir grand. Et c’est pour ça que je me rends à la COP et c’est pour ça que je peux croire à une transition énergétique".
Faut-il réformer les COP ?
Face au refrain qui revient à chaque COP sur la lenteur du processus, Marine Lamoureux fait part d’un certain agacement et estime, comme le pape, qu’il est important de s’inscrire dans le réel, tel qu’il est : "On est tous à tâtonner sur quel est le modèle multilatéral sur ces questions parce qu’il n’y a pas de gendarme mondial pour rendre l’Accord de Paris contraignant. A un moment il faut se rendre à l’évidence qu’on est dans le monde réel et que quand on réunit 197 parties à la COP qui ont des intérêts différents, qui ont des populations différentes, qui ne dépendent pas de la même manière des énergies fossiles, il n’y aura pas de miracle consensuel. Je crois qu’il faut l’accepter et à chaque fois le laïus sur les COP ne servent à rien, c’est parce qu’on en attend trop. Mais imaginons que les COP n’existent pas : on s’aperçoit que ce serait dramatique. Mine de rien, depuis la COP 21, il s’est passé beaucoup de choses en dépit des défauts de l’accord de Paris et du fait que c’est extrêmement lent. Cette question de l’organisation multilatérale n’est pas évidente et qu’on se berce d’illusions si on croit qu’on arrivera à trouver un système idéal. On est dans ce monde-là et il faut le prendre tel qu’il est. D’où aussi l’intérêt d’aller faire une COP, même si ça paraît incroyable, dans le temple de la production pétrolière, parce qu’il faut parler à tout le monde. Cette pression des pays, COP après COP, même si elle est imparfaite, je suis convaincue que des choses progresse. Parlons aussi de tout ce qui, petit à petit, avance, ne serait-ce que les engagements de neutralité carbone à 2050. Ce sont quand même des avancées intéressantes."
Les COP, une chance pour la paix dans un contexte géopolitique dégradé
Et Olivier Nouaillas invite à observer les COP en les inscrivant dans la réalité globale du monde, pour constater qu’elles contribuent à la recherche de la paix : "On ne peut pas s’extraire du contexte géopolitique qui est très dégradé et les lieux où tout le monde se parle sont extraordinairement rares aujourd’hui et c’est très précieux. On ne peut pas séparer cette grande cause qu’est le changement climatique de la question des équilibres mondiaux et de la paix mondiale. Si le GIEC a eu le prix Nobel de la paix en 2007, c’est parce que le changement climatique aggrave toutes les tensions. Donc c’est très précieux les lieux où on se parle à égalité. » Et d’ajouter :« On peut voir le côté décevant du bilan des COP mais il faut en même temps avoir conscience que chaque 10ème de degré va compter. Parce qu’il s’agit de préserver l’habitabilité de la terre et qu’on ne sait pas à partir de quelle température elle ne sera plus habitable".
Alexandre Poidatz souligne lui, que même s’il y a "peu de probabilité qu’il y ait un accord sur le pétrole et le gaz" à la COP 28, des choses avancent lors des COP par exemple dans le cadre d’accords bilatéraux entre pays : "des plans de transition juste entre des pays du Nord et des pays du sud", par exemple ente la France et le Sénégal, pour financer la transition. Et Marine Lamoureux souligne qu’en matière de trajectoire de réchauffement climatique, "sans les COP, on devrait être à +3 degrés, or on est entre 2.4 et 2.7" Et d’ajouter : "ça avance en fait !" Par exemple, sur la question des pertes et dommages : "à la COP 27, on a imaginé la coquille d’in fonds dédié à ce qu’on appelle les pertes et dommages. Ce sont les pertes irréversibles qui concernent par exemple les petits archipels menacés par la menace des eaux, mais aussi des terres qui deviennent absolument incultivables à cause de sécheresses récurrentes. A la Cop 27 on a créé le principe d’un fonds et maintenant tout reste à faire. Maintenant il va falloir déterminer qui contribue, qui bénéficie, sous l’égide de qui… c’est tout ça qui va devoir être acté".
Le glyphosate et les atermoiements de l'Union européenne
La tension entre désir d'avancer et difficulté à agir se traduit aussi à l'échelle européenne. Le 16 novembre, la Commission européenne a décidé de “renouveler l’approbation du glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions”. Cette décision est le résultat de l’absence d’accord entre les 27 Etats membres quant à la reconduction ou au rejet de l’autorisation du glyphosate. Des associations ont annoncé leur intention de saisir la justice pour contester cette reconduction dès qu’elle sera entrée en vigueur car elles estiment que cette autorisation est en contradiction avec la législation européenne sur les pesticides, qui donne priorité à la santé et à la protection de la biodiversité. Dans le même temps, le même jour, le 16 novembre, l’union européenne a inscrit dans son droit pénal le crime d’écocide. En réalité le terme même d’écocide n’est pas employé, mais l’accord provisoire qui a été trouvé allonge la liste des crimes environnementaux et harmonise les sanctions prévues au sein des pays de l’Union. Et dans cette liste figure “l’épandage massif de pesticides”. Une décision qui paraît en contradiction totale avec l'interdiction du glyphosate.
Mais Alexandre Poidatz souligne que, si des résistances ont empêché d'avancer sur le glyphosate, l'Union européenne a ouvert de réelles avancées écologiques dans le cadre du Green new deal, "qui avait vocation à réorienter l’union européenne vers la transition écologique". Et d'expliquer : "il y avait 2 volets si on schématise : sur le volet climatique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il y a eu beaucoup d’avancées, on peut par exemple penser au fait que les constructeurs automobiles ne pourront plus construire de véhicules thermiques à partir de 2035. Ce dont le glyphosate est le nom, c’est les tensions sur les enjeux de protection de la nature. Ca montre la tension ente le système agricole actuel et le système politico-économique qui maintient ce système intensif alors qu’on devrait transitionner".
C’est long, mais on avance ! Telle pourrait être la conclusion de ce décryptage de l’actualité de l’écologie à quelques jours de la COP 28 sur le climat.
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