Un enseignement sur la prière
Du sens originel de la prière au sens profond symbolisé par un "cordon ombilical avec Dieu", le père Kazarian nous montre comment l'homme d'aujourd'hui, privé de prière - contact initial avec le Créateur- mais tourné vers les choses, s'y est dispersé et désintégré pour y perdre son unité, sa liberté et finalement devenir un être conditionné.
Mais ce n'est pas la Volonté de Dieu qui a envoyé Son Fils pour unir de façon totale et parfaite le divin et l'humain : C’est là que se trouve la source de la prière, qui est vraiment cette communication parfaite et intégrale avec Dieu en Jésus-Christ, dans la communion profondément naturelle entre Dieu et l’homme fait à son image et grâce à l'Esprit-Saint qu'il nous faut demander.
L'étymologie et le sens de la prière
L'étymologie garde le souvenir de l'origine besogneuse de la prière. En effet, le mot est dérivé de precarius. La prière est originellement le mouvement vers l'Autre de l'homme qui prend conscience de la précarité de son existence. Aussi, en dehors du contexte religieux, prier quelqu'un signifie toujours demander.
Avant de parler de la prière elle-même, il convient de savoir pourquoi il est utile et nécessaire de prier, pourquoi la prière au nom du Seigneur Jésus a un sens et une valeur toute particulière.
Nous pouvons comparer la prière à un cordon ombilical avec Dieu, comme il est dit dans un verset de l’épître aux Hébreux où, avant même de donner des exemples comme Abraham, l’auteur insiste sur la nécessité de croire dans le Créateur pour discerner ses œuvres dans le monde : " Par la foi, nous comprenons que les mondes ont été formés par la Parole de Dieu, de sorte que ce que l’on voit provient de ce qui n’est pas apparent " (Hé 11, 3).
Cette foi fondamentale rend la prière nécessaire. Dès que nous avons découvert que tout ce que nous voyons et tout ce que nous sommes – a son origine, son mouvement et sa vie dans le Créateur, dès que nous avons reconnu par conséquent que la création est amenée à mourir lorsqu’elle est coupée du Créateur, il devient d’une importance vitale, au sens le plus littéral et le plus fort du terme, de retrouver le lien de vie – véritable cordon ombilical – avec Dieu, sans lequel nous ne pouvons plus vivre.
Nous sommes tellement habitués aux merveilles de la création que tout nous paraît normal.
Il est naturel de respirer, même dans le sommeil; or, si le Créateur retenait son souffle, la respiration cesserait.
Il est naturel que notre cœur batte indépendamment de notre volonté, naturel aussi que les enfants naissent, que le soleil se lève; pourtant, qui nous dit que le soleil se lèvera demain matin ?
Croire en un Créateur...
qui préside à tout cela, qui est derrière les merveilles de la création : cela ne se démontre pas.
Nous avons des signes, des traces de Dieu, mais au-delà, il faut un acte de confiance.
Nous projetons tout le temps notre propre personne dans nos perceptions et dans les réalités extérieures, et nous nous y désintégrons.
En dirigeant continuellement notre attention vers le dehors, nous devenons, pour ainsi dire, des morceaux de nature.
Nous sommes alors tiraillés par tout ce qui, dans le monde, nous attire ou nous repousse, et nous y perdons jusqu’à notre personne.
L’homme sans Dieu est à la limite un schizophrène. Il perd son unité, se noie et se désintègre dans les déterminismes naturels. Il y perd sa liberté et devient un être conditionné. Ce n’est pas un hasard si notre époque parle tant de conditionnement ; c’est sans doute parce que les hommes n’ont jamais été autant conditionnés depuis qu’ils ont perdu leur contact initial avec le Créateur, pour se tourner vers les choses, s’y disperser et s’y désintégrer.
La Volonté de Dieu en nous envoyant son Fils...
C’est dans une union totale et parfaite du divin et de l’humain que réside la prière.
Jésus-Christ – vrai Dieu assumant la nature humaine – est d’une certaine manière en état de prière permanente, puisque le Fils de Dieu et le Fils de l’homme communiquent d’une façon si totale qu’il n’y a en lui qu’une personne.
C’est là que se trouve la source de la prière, qui est vraiment cette communication parfaite et intégrale avec Dieu en Jésus-Christ, dans la communion profondément naturelle entre Dieu et l’homme fait à son image.
Une parole du prophète Isaïe nous permet de comprendre comment cette communication, cette union du divin et de l’humain – réalité fondamentale de la personne du Christ – se communique aux chrétiens : il décrit à l’avance ce que sera le Messie " L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres " (Is 61, 1).
Le mot Christ venant du verbe grec qui signifie " oindre ", " Il m’a oint " veut dire : " Il m’a fait Christ. "
Le prophète Isaïe définit donc le Christ comme Celui sur qui repose le Saint-Esprit de Dieu.
C’est justement parce que le Saint-Esprit repose sur le Fils que, lorsqu’il s’est posé sur la Vierge Marie, s’est opérée l’incarnation du Fils.
C’est par l’œuvre du Saint-Esprit, qui repose sur Lui de toute éternité, que le Fils a assumé la nature humaine dès le sein de la Vierge.
et en nous donnant le Saint-Esprit
Ainsi, lorsque le Seigneur Jésus nous donne l’Esprit, l’image de Dieu se renouvelle en nous.
C’est là que nous recommençons à communiquer avec le Créateur : nous revenons à notre état "naturel" qui est un état de prière.
La prière est en effet aussi naturelle à l’homme que sa respiration.
Loin d’être une sorte d’état mystique et transcendant, elle est la condition naturelle de l’homme fait à l’image de Dieu.
Par nature, nous sommes assoiffés de Dieu, mais, ayant choisi d’innombrables ersatz de Dieu – des idéologies, des passions, des choses et toutes sortes d’appétits – tout dans notre vie s’emballe, grince, tourne à l’envers et au désordre.
Le dynamisme divin que Dieu a déposé en nous n’étant plus rattaché à sa source, nous aboutissons à une véritable anarchie intérieure où notre être et la société perdent leur unité.
Voici comment St Paul résume l'œuvre du Saint-Esprit qui procède du Père, repose sur le Fils, est donnée aux croyants et renouvelle la nature humaine : " Le Seigneur, c’est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Et nous tous qui, le visage découvert, reflétons comme un miroir la gloire du
Seigneur, nous sommes transformés en cette même image de gloire en gloire, comme il convient à l’action du Seigneur qui est l’Esprit " (2 Co 3, 17-18).
Voilà qui définit bien ce qu’est la prière et son but : l’exposition de l’homme au rayonnement de l’Esprit-Saint qui, progressivement, renouvelle en lui l’image de Dieu et le transforme de gloire en gloire, selon le modèle de cette image parfaite de Dieu qu’est le Fils de l’Homme, Jésus Christ.
La prière, en ce sens, n’est nullement un acte fragmentaire.
Elle n’est pas un ensemble de paroles ou de formules qu’on récite à un moment donné, mais bien un état permanent de l’homme, état qui redevient son état naturel et vital lorsqu’il se replace sous le rayonnement de l’Esprit.
C’est pourquoi la plus importante de toutes les prières est celle que le Seigneur Jésus lui-même nous a indiquée : " Si vous qui êtes mauvais, ne donnez pas une pierre à vos enfants quand ils vous demandent du pain, ou un scorpion quand ils vous demandent un neuf, combien plus votre Père du ciel vous donnera-t-il le Saint-Esprit si vous l’en priez " (Mt 7, 9-11 ; Lc 11, 11-13).
Or, c’est la seule prière que nous ne faisons presque jamais ! Nous demandons à Dieu un tas de choses inutiles. Nous sommes avec lui comme des enfants capricieux qui demandent tout sauf le nécessaire, quand ce n’est pas des choses nuisibles. Et même si nous ne demandons pas à Dieu des choses aussi futiles que gagner au tiercé ou à la loterie nationale, si nous prions effectivement pour des choses plus utiles et plus légitimes comme la santé, prions-nous pour acquérir le Saint-Esprit qui est autrement plus nécessaire ?
Lorsque nous avons le Saint-Esprit, nous sommes reliés à la Source de la vie ; nous avons la santé à la racine de notre être et pas seulement à la surface de notre peau.
Cependant, pour demander le Saint-Esprit, encore faut-il d’abord croire au Seigneur Jésus, puisque c’est Lui qui le donne.
Il est venu pour cela, ainsi qu’il l’a dit lui-même dans son dialogue avec la Samaritaine (Jn 4, 10-14).
Il s’est incarné pour donner aux hommes le don de Dieu. Et ce don ne consiste pas seulement dans ce que Dieu donne : il est Dieu lui-même, la présence et le rayonnement même de Dieu par le don du Saint-Esprit.
Autrement dit, Dieu n’est pas seulement le donnant, il est aussi le donné. De même que le Fils s’est donné lui-même par l’Incarnation et la Croix, de même le Saint-Esprit s’est donné aux hommes à la Pentecôte.
Nous appelons le Saint-Esprit " Trésor de tous biens et Donateur de vie " : si seulement dans nos prières nous savions désirer le Donneur lui-même plutôt que ses dons ! Si seulement nous savions aimer Dieu pour lui-même plutôt que pour ses bienfaits ! Si seulement nous étions un peu moins intéressés et commerçants avec Dieu !
Ne serions-nous pas un peu agacés de constater que les gens que nous aimons passent leur temps à nous demander quelque chose, mais sans s’intéresser à nous ? Toute maman souhaiterait que son enfant pense parfois à elle sans arrière-pensées intéressées... Il en est de même de Dieu : Il aimerait que nous pensions quelquefois à Lui, pas seulement pour lui demander des cadeaux, mais aussi pour lui dire que nous l’aimons et désirons sa présence.
Mais pour cela, il faudrait que, dans nos prières, nous cessions d’être des bavards et des mal élevés ! Il y a des gens qui ne nous laissent jamais placer un mot quand nous parlons avec eux : ils parlent, parlent, parlent ! Ils racontent un tas de choses inintéressantes et ne nous donnent jamais la parole !
N’avons-nous pas, nous aussi, un comportement semblable avec Dieu : nous demandons, nous récitons, nous disons un tas de mots, mais nous ne prenons jamais la peine de nous taire et d’écouter.
Souvenons-nous de ce très beau récit de l’Ancien Testament, dans le livre des Rois, lorsque le grand prophète Élie, se trouvant à l’entrée de la grotte, apprend que Dieu va passer.
Il y a un grand coup de tonnerre, mais, dit la Bible, Dieu n’est pas dans le coup de tonnerre ; il y a ensuite un grand tremblement de terre et un grand éclair, mais Dieu n’y est pas non plus.
Survient alors un doux murmure, comme la brise du matin, et Elie, comprenant alors que Dieu passe, se prosterne, visage contre terre, et couvre sa tête de son manteau (voir 1 R 19, 11-12).
L'importance du silence pour écouter Dieu
Dieu se fait entendre dans le silence, mais celui-ci nous fait peur. Car nous craignons de nous retrouver seuls avec nous-mêmes. Nous préférons la télévision à la solitude, par peur du silence qui nous ferait entendre la voix de notre cœur et nous obligerait à tourner notre regard vers l’intérieur.
Pourtant, c’est au fond de nous-mêmes à la racine de notre être où se trouve, souvent estompée, l’image de Dieu – que nous pouvons entendre la voix du Créateur.
Mais notre propre bruit, le bruit permanent de la civilisation actuelle, l’occulte, la fait taire.
Il faut du silence pour écouter, surtout quand il s’agit d’une personne qui a quelque chose à dire et qui a pris la peine de l’exprimer.
N’est-ce pas merveilleux que Dieu ait pris la peine de parler aux hommes et qu’il nous ait donné sa Parole ?
Alors, écoutons-la, efforçons-nous de la lire. Il faut lire l’Écriture Sainte pour écouter Celui qui me parle, pour écouter le Dieu vivant qui a quelque chose à me dire parce qu’il m’a créé et qu’il a un projet, un dessein pour moi.
Il faut donc lire la Bible en cherchant ce que Dieu veut me dire personnellement.
Mieux encore, il faut écouter la Parole de Dieu ensemble avec d’autres, car là où deux ou trois sont réunis en son nom, il est présent parmi eux. En ce sens, les offices de l’Église réalisent l’écoute communautaire de la Parole de Dieu.
et le rôle des icônes
Pour les orthodoxes, ce contact, qui est personnel, se manifeste notamment dans la relation avec les icônes.
Sur ses icônes, le Christ est toujours représenté de face, jamais de profil : Il nous regarde.
Lorsque nous prions devant l’icône, c’est pour sentir le regard du Seigneur posé sur nous, pour que s’établisse un lien personnel – de personne à personne – entre le Seigneur qui nous appelle et nous qui répondons.
C’est en priant devant l’icône – face-à-Face – que le chrétien, décidé à le chercher, découvre le lien personnel au Christ qui l’aime et qui l’appelle.
Ce lien unique et irremplaçable entre le Christ et son disciple n’est pas un lien seulement entre l’homme et le Fils, mais aussi – à travers le Fils – entre l’homme et le Père, entre l’homme et le Saint-Esprit.
En effet, la prière chrétienne a toujours été essentiellement trinitaire.
C’est magnifiquement illustré par l’icône de Roublev, qui représente les trois anges venus annoncer à Abraham la naissance d’Isaac, conformément au récit du livre de la Genèse. La Tradition y a toujours vu une préfiguration de la Divine Trinité.
Les trois personnages représentés ont le même visage, car ils ne sont qu’un seul être.
Ils sont d’ailleurs inscrits dans un cercle qui figure à la perfection le mouvement de vie trinitaire à l’intérieur de l’unique Divinité : l’ange représentant l’Esprit est penché vers le Père, tandis que le Père regarde vers le Fils pour faire reposer l’Esprit-Saint sur lui.
Lorsque le chrétien prie, il faut qu’il se mette face à chacune de ces trois Personnes.
C’est pourquoi, dans la tradition orthodoxe, nous avons la prière du Trisagion : " Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous " issue du chant entendu par Isaïe dans sa vision en l’an 740 avant J.-C. : " Saint, Saint, Saint, le Seigneur Sabaoth " (Is 6, 3).
Saint Dieu, car Dieu est Saint. Saint Fort, car Isaïe appelle le Fils " le Fort ". Saint Immortel, car l’Esprit Saint donne la vie. Cette prière est dite trois fois : une fois au Père, une fois au Fils et une fois au Saint-Esprit, mais en même temps à chaque fois aux trois Personnes ensemble, parce qu’elles sont une.
Nous sommes là en présence du mystère de la Trinité, mystère radicalement et foncièrement au-delà de tout ce que la raison humaine peut concevoir ou imaginer.
Dernier conseil...
Pour prier, il faut déblayer l’horizon de tout ce qui l’obscurcit pour toujours aller au-delà, vers le mystère de Dieu, vers ce Dieu qui est un et trois, Dieu Unique et Trinité.
Pour nous ouvrir un peu à la lumière et y accéder, nous devons d’abord nettoyer en nous toutes les scories, éliminer toutes les opacités qui rendent la prière impossible. Cette pratique nécessaire, qui n’est guère à la mode, est ce que nous appelons l’ascèse, qui vient d’un mot grec signifiant " exercice ".
Si chacun de nous consacrait à la recherche de Dieu et à l’ascèse un dixième de notre temps, il y a longtemps que nous serions des saints !
Car nous ne pouvons pas être à la fois absorbés par une foule d’appétits qui nous vident, nous bloquent, nous hypnotisent, et en même temps avoir soif de Dieu et prétendre recevoir son rayonnement.
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