Déserts médicaux et nouvelle formation pour les futurs médecins.…
Est-ce que le réalisateur David Shore et l’acteur Hugh Laurie ont imaginé que la série démarrée en 2004 avec le personnage du médecin efficace mais cynique du Dr House, allaient susciter des orientations vers les professions de santé ? Sans parler de la série Urgences (1994) avant eux ou, en France, du Dr Sylvestre interprété par Jérôme Anger (1995) ?
1) Quotidien du médecin : La télé et la réalité
C’est bien possible nous disent avec un sourire les Drs Lucile Grange, interne en médecine interne au CHU de Saint-Etienne (27 ans, 11ème année de médecine) et Quentin Ravoire, 38 ans, médecin généraliste à Saint Genest Lerpt (Loire, 42).
Et ce ne serait pas étonnant ; ces séries ont illustré, dans leur quotidien, la vie toujours mouvementée des médecins et autres personnels soignants, avec leurs joies, leurs peines, leurs questionnements sur le sens de leur métier, expliquent les jeunes praticiens. « Ils ont aussi montré les difficultés de l’exercice de leurs professions face aux exigences tant des administrations que des patients, voire de leurs familles.
Des vies difficiles mais palpitantes et utiles » affirment les deux médecins stéphanois...
C’est encore ce sens qu’offre pour eux la profession de médecin : « travailler au CHU c’est s’occuper des gens, de leur bien-être » pour le docteur Lucile Grange. Tandis qu’« être en cabinet, c’est être en première ligne avec le patient, et prendre le temps de nouer une relation pour le Dr Quentin Ravoire et honorer encore la notion de médecin de famille».
Mais les déserts médicaux sont bien là. Y compris dans le département de la Loire. Et aujourd’hui, tant au CHU qu’en cabinet, on manque de médecins et d’infirmiers/ères.
2) Adieu numerus clausus, bonjour numerus apertus
Avec la réforme de 2021, les études de médecine sont entrées à leur tour dans le cycle du diplôme des licences (LAS : Licence Accès Santé), à l’instar des autres facultés d’enseignement supérieur. Mais devenir médecin, signifie toujours des études sur 9 à 12 années.
Le numerus clausus a disparu et a été remplacé par un numerus apertus…. Un nombre pas si ouvert que ça puisque désormais, si les Facultés pourront faire varier à la marge le nombre d’admis, ce sera sur avis de l’Agence Régionale de Santé : il y aura un seuil plancher et un seuil plafond définis dans chaque Faculté plutôt qu’un nombre précis. Le 1er non pris pourrait potentiellement être repêché.
A noter que la filière restera toujours aussi sélective ; le nombre de places devrait être sensiblement le même qu’aujourd’hui.
3) Des passerelles pour encourager à s’inscrire en médecine :
L’idée de FILIERE est plus forte qu’avant avec la possibilité pour l’étudiant qui ne réussirait pas la première année de médecine de pouvoir se réorienter plus facilement, notamment en lien avec l’option qu’il aura dû choisir dès son inscription en 1ère année : sa MINEURE.
En effet, s’il n’est pas admis dans une filière de santé après son PASS, Parcours Accès santé Spécifique (ancienne paces), l’étudiant pourra se diriger vers une licence qui correspond à LA nouveauté de cette première année de médecine qu’est la mineure .
Il s’agit de matières, qui s’ajoutent aux matières santé et qui sont des disciplines liées à d’autres filières, dans d’autres facultés : droit, économie, philosophie, mathématiques, etc. Autant de passerelles pour se réorienter après une 1ère année de médecine échouée et donc encourager les étudiants à se lancer dans l’aventure du médical sans plus le stress de l’impasse pour la suite de leur formation.
4) ECOS, simulations et stages plus fréquents : l’autre atout de la réforme 2021
Les ECOS (Examen Clinique à Objectif Standardisé) sont une nouvelle façon d’évaluer les étudiants en médecine dans le cadre de la réforme du second cycle des études de médecine. Ceci constitue désormais un des 3 éléments permettant le classement national des étudiants en fin de sixième année en vue de l’attribution de leur affectation d’interne. Cet outil permet d’évaluer tout ce que les questions de cours ont du mal à évaluer : raisonnement, comportement, communication, professionnalisme, etc.
5) Professeur Christian Boissier et du Dr Ravoire
Il a effectué toute sa carrière au CHU de Saint-Etienne : Vice doyen d’honneur à la faculté de médecine Jacques Lisfranc, il a mis en œuvre les ECOS à Saint-Etienne. Il insiste sur l’importance de ces nouveautés pédagogiques que sont les ECOS : ces mises en situation permettent d’apprendre aux étudiants à gérer leur savoir être dans des situations particulières proches de la réalité, jusqu’à la façon d’être en relation avec le patient. Les premières évaluations valables pour le concours national classant de 6ème année auront lieu l’an prochain.
Les simulations, elles, permettent d’apprendre à pratiquer des gestes qui pourront faire partie de leur quotidien de médecin dans l’avenir.
Le Dr Ravoire n’a pas connu ces nouveautés. Mais il pense que cela correspond bien au développement de l’apprentissage par l’acquisition de compétences. Pour lui, c’est une autre façon d’utiliser les connaissances théoriques et de les mettre en application. D’ailleurs, lui-même a accepté de s’engager comme maître de stage de l’université. A ce titre il accueille régulièrement des internes de médecine générale dans son cabinet. Il est aussi tuteur à la fac de médecine et encadre un petit groupe d’étudiants de leurs 1ere à 3ème année. Un investissement en temps et en accompagnement humain qu’il fait parce que ça lui paraît essentiel pour la transmission aux internes. « Cela leur apporte du concret et facilite leur entrée dans la vie active ».
6) Un aménagement des études de médecine qui doit changer le regard des futurs étudiants sur le métier de médecin ?
Le Dr Quentin Ravoire rappelle que, aujourd’hui, le département de la Loire manque d’effectifs.
Une étude récente (cf : « pour aller plus loin » à la fin de l’article) montre que, dans la Loire, entre 2004 et 2014 : - 464 internes ont été formés mais qu’en 2014 il n’y en a eu que 166 d’installés en cabinet.
- 162 ont choisi d’exercer à l’hôpital et 103 sont devenus remplaçants.
- La féminisation quant à elle, a atteint 65 % des effectifs des étudiants en 2019.
7) Les IPA ... Une bonne solution ?
Les IPA (infirmièr(e)s de pratique avancée sont de nouveaux acteurs de santé qui doit faciliter l’accès aux soins des patients. Ce sont des infirmiers/ières qui ont déjà une expérience reconnue et qui reprennent des études pour être en mesure, en lien avec le médecin traitant, de faire des consultations de suivi dans certains domaines dans le cadre de maladies chroniques stabilisées, urgence, cancérologie, néphrologie, explique le professeur Boissier.
A ne pas confondre avec les assistants(e)s médicaux qui aident le médecin aux tâches administratives. C’est très important étant donné la charge que cela représente pour les médecins, mais ce ne sont pas de soignants.
Problème : les médecins ne sont pas formés pour travailler avec ces nouveaux/elles soignants.
Pour le Dr Quentin Ravoire, le cadre est encore très flou et cela pose des questions pour des gens qui en sont à 9 ou 11 années de formation. Pour eux, l’acceptation des IPA n’est pas facile.
Mais pour lui, il ne faut pas désespérer de l’installation de nouveaux jeunes médecins.
En médecine générale, depuis l’instauration des stages chez le praticien, les délais d’installation ont raccourci de deux à un an.
L’important pour les jeunes générations de généralistes, c’est de ne pas être seuls. D’où l’importance pour Quentin Ravoire d’être dans un cabinet médical avec 3 médecins, 2 infirmières et 2 orthophonistes
8) Les déserts médicaux en ville
Et doubler le prix de la consultation ? Ce n’est pas la solution miracle disent nos témoins. Garder le prix d’une partie de la consultation en cas de rdv non honoré et non annulé ? Cela peut éviter le consumérisme avec « l’oubli » de l’annulation de la consultation par le patient mais cela n’améliorera pas vraiment la situation financière des médecins généralistes et donc l’attractivité du métier.
Ce n’est pas vraiment le problème : Aujourd’hui, plus personne n’accepte de travailler 48 ou 50h / semaine.
Sans compter, qu’étant donné l’âge des médecins lorsqu’ils s’installent, ils sont déjà souvent en couple et se pose alors la question de l’emploi du conjoint. Dans de petites communes, les trajets et les distances, l’absence d’école sont autant de raisons de rester dans les centres urbains.
Et même en ville, les déserts médicaux existent.
« Ça ne fait plaisir à personne de refuser des nouveaux patients » rappelle le Dr Quentin Ravoire.
La société a changé. Il n’y a plus, il ne doit plus y avoir de médecin à 80 heures /semaine.
Être médecin aujourd’hui
* à l’hôpital : Pour le Dr L. Grange, c’est 11h par jour, 5 jours semaine avec gardes. Avec les consultations et les soins au quotidien. « L’intérêt c’est de travailler en équipe, ne pas être seul et disposer d’un plateau technique performant pour soigner rapidement les patients. L’Hôpital va mal et avec la crise sanitaire le quotidien est encore difficile.
Mais il y a des gens qui sont là pour s’occuper des patients et c’est ce qui fait tenir l’hôpital » assure le Dr Grange.
* En cabinet : pour le Dr Ravoire, « la grosse partie du travail « c’est parler avec patients, les rassurer sur leurs inquiétudes non fondées, expliquer, prendre le contexte dans lequel vivent les gens, de quelle façon. Il n’y a pas de plateau technique mais on fait avec l’incertitude immédiate, et c’est une grosse différence avec l’hôpital. »
Et l’automédication, les antibiotiques… ç’est peut-être pas hérétique !
Un des stagiaires du Dr Ravoire a jugé que c’était délétère : mais en discutant avec les patients, il est apparu qu’au final c’est quelque chose qui permet aux gens de s’intéresser à leur santé.
La relation patient - médecin a changé aussi : « il n’y a plus de paternalisme tout puissant. C’est un partenariat, explique le Dr Ravoire et finalement ça donne une base pour discuter en remettant les choses dans leur contexte avec le malade, dans son cas particulier ; ça peut même donner lieu à une explication sur ce qui a été peut-être mal compris.
Plus d’étudiants en médecine pour plus de médecins sur les territoires ?
Pour Christian Boissier « l’internat autrefois était très sélectionnant sur le savoir mais pas sur le savoir être.
Les études restent difficiles mais la médecine plaît encore ».
Les motivations rapportées par les étudiants qui empruntent cette voie sont de différents ordres :
Ils sont bons dans les matières scientifiques, la biologie et ont envie de mieux comprendre encore comment marche le corps humain.
D’autres, marqués par des proches qui ont connu des maladies graves, ont été témoins du médecin de famille qui est venu soigner, réconforter et prendre en charge ce patient ; et même les séries Dr House, Urgences à la télé ont eu un effet d’attirance pour le métier ; comme les témoignages des médecins humanitaires de Médecins Sans Frontières par exemple.
Alors pourquoi l’attraction du métier est moins forte ?
C’est d’abord un problème de places pour pouvoir accueillir ces étudiants et notamment pour leur stages pratiques indispensables.
Un médecin généraliste, même volontaire, ne peut recevoir plus d’un ou deux internes en formation de médecin généraliste. Si on lui demande de recevoir 10 internes c’est impossible ! (1/10 !!)
Et on peut dire la même chose des apprentis boulangers.
La suppression du numérus clausus n’a modifié qu’à la marge la réalité du nombre de médecins formés.
Alors la télémédecine ?
Le Dr Ravoire a essayé durant la crise de la covid… « Il n’y arrive pas ». Ce n’est pas vraiment d’avenir quant à qualité de soins.
D’ailleurs, une étude d’après covid montre que le délai de consultation est plus court après une consultation en télémédecine que sans. Parce que le patient ressent un manque et que le lien patient-médecin n’est pas le même
Pour le professeur Boissier, « il ne faut pas opposer les choses. Il existe une certaine complémentarité entre ces différents moyens d’intervenir et il va falloir apprendre à travailler avec, dans l’intérêt des patients : travailler avec une IPA ou en téléconsultation. C’est dans cette complémentarité, le partage des tâches et la synergie qu’on y arrivera. Mais on ne peut pas décréter du jour au lendemain qu’il y aura des IPA, même si elles sont déjà sur le terrain et que ça marche très bien... Lui a été responsable de la formation des IPA sur la région AURA et ça se passe très bien là où ça existe. Mais ça avance tout doucement. »
Le Dr Ravoire est d’accord avec la complémentarité, mais on ne peut pas le faire s’il n’y a pas au moins une formation pour expliquer aux praticiens quel est le domaine de compétence de chacun. Lancer la télémédecine, les IPA, et demander aux médecins de se débrouiller avec, seulement parce que ce serait l’avenir, ça ne peut pas marcher…
Lui « croit au partenariat avec les patients qui doivent aussi se former. Et cette formation relève du travail et des compétences du médecin. Pour accompagner les malades et leur famille, Souvent il y a des phases de négociation et de formation dans les soins. Mais ça prend du temps. Et le problème est là. »
Pour Christian Boissier, « il est vrai que le patient doit être formé par exemple sur l’automédication et ses inconvénients : ça s’apprend. E ça fait partie des choses à mettre en place par le médecin de famille avec des patients qui seront beaucoup plus au courant de ce qu’ils doivent faire et leurs limites, et donc se soigneront mieux au bout du compte.
Il faut apprendre à travailler ensemble et en synergie. »
Les ordonnances des Dr Grange, Ravoire et Boissier pour rétablir l’attractivité de leur métier
Pour Christian Boissier, il ne faut pas se priver des moyens techniques et humains mis à la disposition des / médecins dans des zones de déserts médicaux très éloignés d’un centre hospitalier, Cela peut être une aide et un soulagement pour eux.
Pour le Dr Lucile Grange l’hôpital public, malade lui aussi doit être doté d’une augmentation des moyens matériels et humains
Pour le Dr Ravoire : les collectivités territoriales, Région, mairies, départements doivent s’investir dans un ensemble pour aider les couples à s’installer.
Des points noirs donc qui peuvent arrêter les étudiants au seuil des études de médecine. Mais, de l’aveu des trois témoins, « c’est un métier passionnant, très riche, où on apprend tout le temps et où on ne s’ennuie jamais parce que l’humain est au cœur de la profession. »
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