Tu m'en liras tant : rencontre avec Gérard de Cortanze
La semaine dernière dans Tu m’en liras tant nous recevions Gérard de Cortanze pour parler de son livre “Une jeune fille en feu”. Ce livre raconte la vie de Christine l'Admirable, une sainte de la région de Saint-Trond qui a vécu au XIIe et XIIe siècle. Rencontre avec l’auteur.
Qui était Christine l'admirable ?
Christine l'admirable est née vers 1150 et a rendu son dernier souffle en 1224 dans la région de Saint-Trond, relevant ainsi de la principauté de Liège. Issue d'une modeste famille, elle a grandi comme une simple orpheline, entourée de ses deux sœurs. L'une était dévouée aux tâches ménagères, l'autre à la prière, tandis qu'elle-même veillait sur un petit troupeau près de la maison, dans un décor de vie villageoise.
Cependant, quelque chose de singulier émanait de cette jeune fille. Un appel divin la distinguait des autres, une dimension qui la caractérisait. À l'âge de 15 ans, du moins dans mon récit, elle décède. Tout le village assiste à ses funérailles, mais soudain, un événement extraordinaire survient : elle ressuscite. Une panique absolue s'empare de l'église. Le prêtre, bien que dévoué mais dépassé par ces événements, est confronté à une résurrection difficile à accepter.
Je crois fermement en cette résurrection, sinon je n'aurais pas écrit ce livre. La question fondamentale demeure : pourquoi a-t-elle été ressuscitée ? Elle a été ramenée à la vie pour transmettre un message aux hommes. Et quel est ce message ? C'est l'existence d'une troisième dimension entre le paradis et l'enfer, connue sous le nom de purgatoire.
La résurrection elle-même était déjà difficilement concevable pour les gens de cette époque, bien que la connexion entre les vivants et les morts soit plus forte qu'aujourd'hui. Cependant, l'idée du purgatoire, à la charnière des XIIe et XIIIe siècles, n'était en aucun cas ancrée dans le dogme. Les historiens s'accordent sur le fait que cela prendra environ un siècle pour être accepté. Cette notion iconoclaste soulevait des questions : Qu'est-ce que cette dimension ? Que raconte-t-elle ? Il pouvait y avoir des individus qui attendaient avant de rejoindre le paradis. Elle décrivait le paradis, l'enfer, et cette zone inconnue à l'époque appelée purgatoire.
Ainsi débute le roman, se basant sur la période cruciale des XIIe et XIIIe siècles. L'expansion du christianisme à travers la construction d'abbayes, de monastères et l'établissement de pèlerinages jouait un rôle essentiel. Pour qu'il y ait un pèlerinage, il fallait des reliques, ce qui entraînait un commerce de reliques à cette époque. Pour avoir des reliques, il fallait un saint ou une sainte. Des théologiens moins lettrés étaient alors sollicités pour écrire des vies de saints, appelées "Vita". Une fois la vie écrite, le saint ou la sainte était reconnu(e), les reliques créées, et le pèlerinage pouvait commencer.
Mon inspiration pour écrire ce livre provient de la Vita de Christine l'admirable, ou Christina mirabilis en latin, rédigée par Thomas de Cantimpré. Il s'agit de 30 pages en latin écrites environ dix à quinze ans après sa mort. Évidemment, certaines choses ont été omises dans cette Vita, car elles ne seraient pas acceptables. Mon idée était de partir de ces pages approuvées et acceptées comme une sorte de biographie officielle. Mon approche est donc une biographie parallèle, racontant ce que, à mon avis, n'a pas été inclus dans la Vita de Thomas de Cantimpré.
La vie de Christina, telle que vous la décrivez, est assez impressionnante en raison de l'aspect presque surnaturel de ses actions. Cette vie est-elle davantage basée sur des mythes ou sur la réalité ?
C'est le cœur même du livre. Permettez-moi de faire un bref détour pour répondre à cette question. Je suis d'origine italienne, piémontaise par mon père et napolitaine par ma mère. Catholique baptisé, j'ai toute l'histoire de l'Italie derrière moi, ainsi que la culture religieuse et littéraire italienne. D'un autre côté, dans ma jeunesse, alors que je rêvais d'être poète dans les années 70, mes amis étaient des écrivains latino-américains tels que Mario Vargas Llosa, Julio Cortazar, Carlos Fuentes. Ils m'ont enseigné l'écriture et m'ont introduit au réalisme magique, une façon particulière de percevoir le monde en Amérique latine. Ils m'ont également familiarisé avec le syncrétisme religieux, tel que représenté par la Vierge de Guadalupe, fusionnant le dogme catholique et la mythologie indienne.
D'autre part, au XIIe et XIIIe siècle, l'époque de la poésie courtoise, la dimension mythologique est prédominante. En tant qu'écrivain, j'ai plusieurs maîtres, en particulier Giono, qui soutient que l'écrivain doit prendre des libertés avec la réalité. Hemingway cite souvent Kipling, soulignant l'importance de déformer les faits. Mario Vargas Llosa m'a enseigné que le roman est la vérité atteinte par le mensonge. En combinant tous ces éléments, on peut comprendre une partie de ma réponse. Tout ce qui est raconté est vrai, car je suis profondément convaincu de la réalité de ces événements, même si certains d'entre eux peuvent être métaphoriques. Nous sommes plongés dans la réalité de cette époque, ce qui facilite la transition vers le second aspect de la vie de Christina mirabilis.
Il y a le message christique, essentiel à son histoire, et un autre message, féministe. Ces deux aspects me passionnent, car ils démontrent que l'on peut être habitée par le Christ tout en étant féministe, c'est-à-dire en tant que femme sans renoncer au corps. C'est une dimension centrale de l'expérience de Christina mirabilis.
Est-elle une féministe avant l'heure, voire une féministe radicale ?
Totalement radicale. Lorsque j'écris mes romans, je m'appuie sur des faits que je déforme ensuite, mais cela implique beaucoup de lecture, de compilation et de vérification. Mes recherches ont révélé des aspects que je soupçonnais déjà, mais qui étaient bien plus prononcés que je ne l'imaginais. La place des femmes aux XIIe et XIIIe siècles était hallucinante, elles étaient totalement niées. Mariées à douze ou treize ans, en dehors du mariage, elles n'avaient pas d'existence reconnue. Soit le couvent, soit la prostitution, mais elles étaient considérées comme invisibles. Dans tous les contextes, elles étaient victimes de violences, sans droits. Le mari pouvait les battre impunément, elles n'avaient pas le droit de commenter les Écritures, et la femme était la pécheresse fondamentale.
Christina mirabilis défie ce statu quo et ose donner son avis sur les Écritures, une hérésie à l'époque. Elle réalise que les règles des couvents sont édictées par des hommes et plaide en faveur de l'implication des femmes dans cette élaboration. Elle perturbe les couvents, suggérant la nécessité d'une sororité laïque. Elle lance le mouvement des femmes errantes, prêchant la parole chrétienne et la révolte féministe. Cependant, même avec ces efforts, elle réalise que les attaques et le rejet persistent. À cette époque, la femme est la pécheresse originelle, responsable de la chute d'Adam et Ève. Pour les femmes errantes, elle constate que simplement errer de village en village n'est pas suffisant. Elle crée ainsi le mouvement des béguines, avec un mélange unique de laïcité et de christianisme, irritant profondément le dogme en place. Face à cela, les autorités réagissent en brûlant les femmes, et c'est ainsi que le mouvement d'espoir initié par Christina mirabilis trouve une fin tragique.
Qui étaient ces femmes qui accompagnaient Christina Mirabilis ?
Il y en avait quatre, existantes et inexistantes à la fois. Bien que ce soient des personnages romanesques, je les ai créés en fusionnant plusieurs femmes saintes, béguines et femmes errantes pour former des archétypes. Par exemple, l'une incarne les saintes qui considèrent Jésus comme leur amant, bien que Christina elle-même ne l'ait jamais mentionné ainsi. Une autre représente ces femmes saintes errant de village en village, soignant les lépreux, créant des hôpitaux et croyant sauver ceux qui les soutiennent financièrement. J'ai imaginé que ces quatre femmes, chacune représentant un archétype, portaient la bonne parole aux quatre coins du monde lors de la mort de Christina mirabilis. Historiquement, Christine n'avait pas ces compagnes, mais il est plausible que son message ait inspiré des femmes à diffuser sa parole à travers toute l'Europe.
Les miracles et actions surnaturelles attribués à Christina mirabilis sont nombreux. Peut-on aujourd'hui expliquer ces événements de manière logique et scientifique ?
Oui et non. Les voyages décrits, avec leur aspect psychopompe, peuvent être rapprochés de certains voyages chamaniques, d'états de coma ou d'expériences de mort imminente. Les descriptions de ces expériences correspondent étonnamment à celles rapportées lors de morts imminentes, avec des tunnels, des lumières, des visions de l'au-delà. Personnellement, je suis enclin à penser que tout cela est vrai.
Peut-on trouver des explications plus terre à terre pour ceux qui sont sceptiques ?
Oui, espérons-le. C'est aussi un livre sur la foi, où des preuves tangibles ne sont pas nécessaires. Pour illustrer le lien entre réalité et fiction, j'ai découvert des faits omis dans la Vita de Thomas de Cantimpré. Par exemple, un rabbin contemporain de Christina rapporte qu'elle était proche de la communauté juive, allant jusqu'à donner des conseils sur l'utilisation du suif pour fabriquer des chandelles pendant le shabbat. Ces détails montrent son ouverture d'esprit, vivant au XIIe siècle, une période où le christianisme s'étendait et où le culte de la Vierge gagnait en importance.
La vie de Christine l'Admirable n'était pas la première que vous avez explorée dans vos écrits. Pouvez-vous nous dire quelle sera la prochaine vie que vous allez explorer ?
Oui, mon prochain livre portera sur la dernière année de vie d'Ernest Hemingway. C'est un écrivain que j'admire beaucoup, souvent mal compris, réduit à l'image d'un boxeur ivrogne et misogyne, ce qui, à mon avis, ne reflète pas sa véritable essence. Je pense qu'il était fin, particulièrement dans sa manière de parler des femmes – ce qui m'intéresse tout particulièrement. Il était ouvert d'esprit et, bien sûr, un écrivain de génie. Cette dernière année de sa vie est largement méconnue.
Hemingway a quitté Cuba avec le désir d'assister à une corrida en Espagne, mais a été victime d'un malaise. Il a été rapatrié dans l'Ohio, dans son chalet, avec seulement un an à vivre. Durant cette année, il a été hospitalisé deux fois dans des asiles psychiatriques, une facette souvent négligée de son histoire. Il a subi des électrochocs, éprouvé des difficultés à écrire et a finalement mis fin à ses jours.
Le FBI le surveillait de près. Certains pourraient penser que c'est une théorie du complot, mais il a été démontré que son téléphone était sur écoute, ses lettres étaient ouvertes. Pendant ses séjours en asile psychiatrique, il a même été approché par des individus en blouse blanche se faisant passer pour des médecins, affirmant appartenir au FBI et révélant qu'ils connaissaient sa véritable identité malgré l'utilisation d'un pseudonyme à son admission. Le FBI était en quelque sorte infiltré dans cette structure qui était censée le soigner.
Ce livre explorera des thèmes tels que l'écriture et le passage du temps. Hemingway a formulé cela de manière très poignante en disant : « Au fond, qu'est-ce qui reste d'une vie ? Une couleur, une chanson, un sourire, deux mots sur une feuille de papier. »
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