C’est un cinquantenaire heureux, il adore son boulot de prof, il écrit des romans qui connaissent un certain succès, il a l’impression d’être dans la course : « Dans le décor figé par la glace hivernale de cette ville de province qui m’a vu grandir, à l’instant où le soleil se lève timidement par-delà la rocade, je suis en pleine possession de mes moyens. J’occupe ma place dans le monde. » Oui, mais voilà, un contrôle médical et c’est l’annonce brutale : un lymphome. Il va falloir se battre contre le cancer.
Pour Jean-Philippe Blondel, la maladie, c’est le second cercle de feu. Le premier avait eu lieu quarante ans auparavant et lui revient en pleine figure : il a 17 ans quand sa mère, son frère, meurent dans un accident de voiture. Le père, miraculeusement sauvé, se tue à son tour, seul sur la route, quatre ans plus tard. Dernier représentant de la famille, le jeune homme est cramé : « De la cellule familiale, il ne restait rien. Je pouvais devenir ce que je voulais. Tout expérimenter – qui oserait m’en blâmer ? » Une seule chose - ou plus exactement deux - le tiennent vraiment à coeur, le sauvent peut-être, un rêve : devenir prof ET être écrivain. Il a réussi.
La littérature fait sans doute la force aussi de ce récit contre la maladie.
« Deux fois j’ai regardé la mort en face », confie-t-il aujourd’hui. Auteur d’une quinzaine de romans et autant de livres pour la jeunesse, Jean-Philippe Blondel se livre à un récit autobiographique pour la première fois, mais n’en perd pas pour autant un humour sensible, une tendresse pour ses personnages, une manière de raconter la vie sans pathos ni lyrisme. C’est pour ça, sans doute que ses lecteurs se reconnaissent dans 6h41, le roman du train qui relie Troyes à Paris tous les matins, ou encore Accès direct à la plage, Un endroit pour vivre, ou Café sans filtre en 2021, quand les discussions de comptoir reprennent après la pandémie. « J’aime bien observer les gens que j’aime bien. Leurs mouvements presque imperceptibles. La façon qu’ils ont de gérer le stress. Je suis devenu expert dans l’art de dévisager les autres et de remarquer les détails, les colorations indésirées, le tremblement des membres, la légère cassure dans la voix. C’est par ces failles-là que j’entre dans leur intimité. »
Aujourd'hui, il rend hommage au personnel soignant, et en jouant franc jeu : il ne nous épargne pas les moments de découragement, de doute, de peur. « On me souhaite du courage et je hausse les épaules – il n’en faut aucun. Avoir du courage, c’est oser, c’est se dresser contre – ici il convient avant tout d’accepter, de baisser légèrement la nuque et de serrer les dents en formulant des souhaits. » Tenir, et saisir des moments précieux : « J’avais oublié à quel point c’était beau, le dehors. Le gens. Le bitume. Les arbres rabougris. La coulée verte, en contrebas. Les jeux du soleil dans les feuilles. Je ne suis pas prêt à lâcher ça », écrit-il. Il parle de lui, de ses « élèves, de ses livres, de l’écriture : « C’est le grand paradoxe de l’écriture : tu es irrémédiablement seul mais tu n’es jamais aussi peuplé que quand tu sens tes personnages autour de toi ». C’est vrai pour l’auteur, pour le lecteur aussi, jamais vraiment seul avec un livre entre les mains. Lui qui a créé tant de héros ordinaires au fil de ses romans a accepté d’être le personnage principal de cette aventure, traverser le feu de la maladie, de la blessure familiale originelle. Deux années se sont écoulées, dont il n’oublie rien : « deux ans de regards, d’airs, de mots, de couleurs, de croquis, de paysages, de voix, de détonations, d’artifices, de cris de surprise, de bonheur, de douleur – et puis la joie. Oui, la joie. »
Jean-Philippe Blondel, Traversée du feu, publié à l’Iconoclaste.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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