« Tori et Lokita » de Luc et Jean-Pierre Dardenne : en route pour une historique troisième Palme d’Or ?
C’est pour la neuvième fois, excusez du peu, que Jean-Pierre et Luc Dardenne ont présenté un film en compétition à Cannes.
« Tori et Lokita » ce sont deux jeunes Africains arrivés en Belgique. Si Tori a ses papiers en règle, Lokita doit répondre à un interrogatoire qui la désarçonne. Puis le soir venu, elle retrouve Tori dans un centre d’accueil à Liège.
Pour survivre et envoyer un peu d’argent, 200,00 €, à la famille de Tori restée au pays, en Afrique, les deux jeunes se laissent tenter par des petits trafics avec le chef de cuisine d’un resto italien qui deale de l’herbe et de la cocaïne. Parfois, il demande à la jeune fille un petit complément, en nature…Et comme Lokita est pressée de rembourser son passeur qui l’a fait venir en Belgique…
Les Dardenne dénoncent ici de ces choses que vivent au quotidien ces jeunes migrants, parfois encore enfant, comme Tori, des choses bien réelles qui se passent dans notre ville, à côté de chez nous et qu’on feint d’ignorer.
Et puis, on aime ou on n’aime pas leur parti pris cinématographique, mais avec « Tori et Lokita » les frères Dardenne vont au bout de leur logique, leur cinéma n’a jamais été aussi épuré : pas question de s’attarder sur des personnages secondaires, la caméra suit Tori et Lokita, et rien qu’eux deux pour mieux cerner leur souffrance, leurs difficultés à survivre dans une jungle urbaine hostile, avec un minimum de dignité.
Lokita, son rêve n’est pas démesuré, il est même plein d’humilité : elle veut devenir aide-ménagère et vivre avec Tori dans un appartement, rien d’extravagant en soi. Au bout du compte, « Tori et Lokita » est aussi le film le plus sombre des Dardenne, dénué de toute lueur d’espoir, ce qui fait vraiment froid dans le dos.
Enfin, après avoir révélé Emilie Dequenne, Jérémie Renier, Déborah François et tant d’autres, Luc et Jean-Pierre Dardenne ont à nouveau choisi de jeunes comédiens inconnus et non professionnels dont on reparlera sûrement, Pablo Schils et Joely Mbundu.
La conférence de presse cannoise
En conférence de presse, Luc Dardenne a commenté leur casting : « On a commencé par chercher l’actrice pour le personnage féminin. Il fallait qu’elle soit francophone. C’est le cas de Joely Mbundu qui vient du Nord du Cameroun. Ensuite on s’est occupé de trouver Tori. On a rencontré de bons comédiens mais on les trouvait un peu trop contemplatifs dans leur façon de jouer, avec trop de lourdeur dans leurs mouvements. Puis on a vu Pablo (Schils) : il n’avait que 12 ans mais il sentait déjà très bien les mouvements de la caméra ».
Le tournage a duré trois mois mais ça n’a posé aucun problème pour la scolarité de Pablo Schils, originaire du Bénin et donc francophone lui aussi : « En effet, poursuit Luc Dardenne, c’est un élève sans problème à l’école. Il a aussi une bonne santé. Et surtout il continue à chanter » (comme dans le film).
Et à entendre Pablo Schils en conférence de presse, nullement impressionné, on découvre un enfant déjà très adulte dans son discours du haut de ses douze ans :
« Ils s’adaptaient par rapport à mon âge, explique-t-il quand on lui demande comment ça s’est passé pour lui sur le tournage avec Luc et Jean-Pierre Dardenne. Je ne me souviens pas avoir été stressé » !
Jean-Pierre Dardenne explique quant à lui pourquoi cette histoire les a intéressés en fait depuis 2014 : « On y réfléchissait depuis longtemps déjà, puis on a tourné d’autres films. On avait d’abord imaginé une famille dont les parents retournaient en Afrique avant de revenir définitivement en Belgique. Mais ça ne fonctionnait pas bien selon nous. Puis, petit à petit, on a trouvé cette histoire. On a été intéressé par l’idée de raconter une histoire d’amitié entre deux jeunes exilés, qui se font passer pour frère et sœur afin de dormir dans la même chambre au centre d’accueil. Et on a transposé cette histoire dans une situation souvent hostile. Ce sont des jeunes gens qui ne sont pas chez eux, qui sont ici en insécurité et à qui il manque énormément de chose. En surtout, leur famille leur manque énormément en exil ».
Qu’en pense la critique ? Petite revue de presse
Mis à part Le Figaro qui rebaptise ironiquement le film « Le gamin au mélo » et parle d’un film qui accable le spectateur tout en soulignant que la persévérance des frères force le respect, la critique est largement positive. Libération parle d’un Dardenne sec et blessant de vérité. Le quotidien La Croix évoque la noirceur de notre monde et une histoire déchirante. Paris Match, sur son site web, voit les Dardenne plus que jamais en lice pour entrer dans l’histoire avec une troisième Palme d’Or.
Chez nous, dans La libre, Hubert Heyrendt évoque un cinéma frontal et naturaliste, un film entièrement tendu vers le drame et un scénario magnifiquement construit. Dans Le Soir, Fabienne Bradfer titre : « Les frères bouleversent à nouveau Cannes ». Et à la RTBF, Hugues Dayez explique que le sujet est fort, le style le plus radical et le plus efficace, pas de fioriture, pas de scène inutile.
Et pour avoir l’avis du jury, plus que trois fois dormir !
Au Festival de Cannes, Pierre Germay.
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