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RCF ENTRETIEN - Delphine Horvilleur: "les conversations familiales sont essentielles"
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ENTRETIEN - Delphine Horvilleur: "les conversations familiales sont essentielles"

Un article rédigé par Stèvelan Chaizy-Gostovitch - RCF Nice Côte d'Azur, le 17 avril 2024  -  Modifié le 17 avril 2024

Elle a publié un journal intime devenu livre. Delphine Horvilleur se livre dans "Comment ça va pas ?", conversations après le 7 octobre. Femme et rabbin, Delphine Horvilleur essaye tant bien que mal de garder allumé la flamme d'une bougie: un peu de lumière au milieu de la pénombre. 

Delphine Horvilleur pendant la commémoration de l attentat de Jo Goldenberg, Photographie par Magali Cohen / Hans Lucas Delphine Horvilleur pendant la commémoration de l attentat de Jo Goldenberg, Photographie par Magali Cohen / Hans Lucas

Stèvelan Chaizy-Gostovitch - RCF Nice: Pourquoi ce titre, "Comment ça va pas ?" pour votre ouvrage ? 

 

Delphine Horvilleur: Et pourquoi pas ? (sourire). C'est un petit clin d'oeil à une blague juive. Une blague qui résume, avec humour, le tragique de l'existence. cette blague raconte ce qui nous est arrivé. Ce sont deux personnes qui se disent comment ça va ? - En deux mots ? - Ça va. - En trois mots ? -Ça va pas. 

 

La vérité c'est que j'avais très mal après le 7 octobre. Ce que vous avez entre les mains n'était pas un livre au départ. Ne pouvant plus dormir la nuit, j'ai écrit un journal intime. Le langage était devenu impossible et j'ai écrit frénétiquement comme on cherche à s'appuyer sur un sol qui s'est dérobé. Et c'est devenu un livre. C'était pas du tout dans l'idée d'en faire un livre. Aucun autre titre ne collait à la fin. 

 

 

S C-G: Vous ouvrez ce livre avec les mots d'un poète palestinien et vous le refermez avec les mots d'un poète israélien. Quel symbole ! 

 

D. H: Parce que les conversations me semblaient être devenues impossibles. J'ai écrit dix conversations les unes derrières les autres. Je n'ai aucune idée sur la rencontre de ces deux poètes de leurs vivants. Mais ce livre est le support de leur rencontre en un moment ou tellement de gens veulent nous faire croire que l'on a plus rien à se dire, que l'on est plus capable de se mettre à la place de l'autre.

 

Ce qui n'est pas faux ! Il y a tellement de gens qui ne sont plus capables de se mettre à la place de l'autre. Particulièrement là-bas, et je le comprends très bien. je parle au quotidien avec des gens sur place, des amis israéliens et palestiniens qui au cœur de cette guerre et de ces ravages n'arrivent plus à se mettre à la place de l'autre. Le temps n'est pas à l'empathie et je ne les jugent pas. Beaucoup d'entre vous ont vécu des deuils, on est alors dans un tel temps de dévastation que l'on ne peut pas sortir de son corps et se mettre à la place d'un autre. 

 

Et si l'on aspirait à être une bougie dans le noir ? 

 

j'ai donc voulu envelopper le livre des mots de ces deux poètes (Mahmoud Darwich et Yehuda Amichaï) pour créer un dialogue. Ces deux poèmes ont quelque chose à voir avec cette capacité à déplacer le regard, à se mettre à la place de l'autre. Mahmoud Darwich dit: "si seulement je pouvais être une bougie dans le noir" et je trouve que c'est une belle injonction: et si l'on aspirait à être une bougie dans le noir ? De son côté, Yehuda Amichaï recentre son regard sur l'humain. Il y a une invitation très poétique à la résolution de conflits. 

 

Delphine Horvilleur

 

S C-G: Vous vous intéressez beaucoup aux mots... 

 

D. H: Oui, cela me renvoie à un problème que j'ai entendu tellement souvent ces derniers mois avec certains mots de la langue française, comme par exemple... la conjonction de coordination "mais" que les gens utilisent de façon totalement abjecte. Exemple: "Oui, le 7 octobre, il y a eu un massacre terrible, mais..." "des enfants meurent à Gaza, mais..." "des roquettes pleuvent sur Israël depuis l'Iran, mais..." 

 

Mais qu'est ce que c'est que c'est "mais" ? Pour dédramatiser, relativiser... c'est comme s'il fallait prendre l'habitude de remplacer un "mais" par un "et": il y a la souffrance des uns et la souffrance des autres. Il n'y a pas de blancs et de noirs et de gentils et de méchants. Il y a des gens avec qui il faudra construire des ponts et ceux avec qui on ne parlera pas aujourd'hui ni jamais. mais les mots, c'est ce qui va nous permettre de grandir. 

 

S C-G: Votre famille est omniprésente. Vous vous appuyez beaucoup sur elle ? 

 

D. H: Je rencontre des trucs très personnels en effet. Ma famille était très présente à la fois les présents et les absents. Les fantômes et particulièrement mes grands-parents s'expriment. j'ai dans mon entourage, beaucoup de gens qui avaient une conversation avec leurs grands-parents et d'un coup surgissait ce que l'on voulait faire taire dans notre histoire familiale. La voix de ma grand-mère est devenue très forte après le 7 octobre. Quand on se sent menacé on a tendance à se replier sur les siens: c'est un drame politique. Les conversations familiales sont essentielles: je parle de comment je voulais préserver mes enfants, ne pas pleurer devant eux. 

 

J'ai pris des pseudos pour réserver des taxis

 

Mon fils m'envoie une petite vidéo au foot. Il marque un but, il est super fier. Et moi je vois sur cette vidéo, son étoile de David qui virevolte à son cou. Il rentre à la maison, et je lui dis "je voudrais que tu l'enlèves pendant un petit temps" et il m'a pris dans les bras et il m'a dit "non, pas question" mais je me suis dit que ma génération n'aurait pas à vivre ça: j'ai grandi dans l'idée que le monde avait compris. J'ai pris des pseudos pour réserver des taxis ou au restaurant. 

 

S C-G: Quel avenir est promis à cet ouvrage ? 

 

Je suis très touché de voir qu'il passe déjà largement de mains en mains bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. je pars bientôt au Proche-Orient, j'aurais l'occasion d'en parler avec les uns et les autres. Mais précisément parce qu'ils ne sont pas en état de se reparler, on a, à modeler, une capacité empathique. Il serait sympa d'avoir une émission ou l'on droit défendre l'argument de l'autre. Ce serait intéressant si c'est fait avec bonne foi. 

 

 

Comment ça va pas ? - Conversations après le 7 Octobre - Delphine Horvilleur - Grasset

 

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