On le croit sur les bords du lac Baïkal, il parcourt les chemins de traverse de la France vicinale, hors des sentiers battus. On l’imagine en side-car sur les traces des campagnes napoléoniennes, il poursuit la panthère des neiges sur les hauts-plateaux du Tibet. Voyageur infatigable, aventurier des derniers espaces et écrivain gyrovague, Sylvain Tesson nous livre le récit de ses dernières pérégrinations. Entre terre et mer, il a passé trois mois pour explorer « l’arc celtique ».
De la Galice à l’Ecosse, en passant par la Bretagne, bien sûr, les Cornouailles, le Pays de Galle, l’Irlande, c’est une même culture celte qui résonne sur la lande peuplée de légendes, dernier espace avant la frontière atlantique. « Définition de l’esprit celte : demeurer au bord du vide », énonce le voyageur géographe. Avec ses deux compères, Arnaud Humann et Benoît Lettéron, il se donne trois mois pour suivre la grève escarpée, « des Asturies jusqu’au nord de l’Ecosse, une ligne de côte disait les noces de la mer, du ciel, et de la terre. »
Il cherche les fées, et elles l’accompagnent tout au long de son voyage, non pas de frêles silhouettes ailées, mais ces éclats de merveilleux que l’explorateur attentif peut saisir au fil du temps : « La fée ne s’apprivoise, ni ne se commande, pareille à l’oiseau de Carmen. On ne l’attend pas elle est là, on la cherche elle se dérobe. On peut lui donner le nom de tout instant où, devant la beauté d’un visage, d’un paysage, l’être s’allège. »
A sa manière, l’aventurier nous susurre que les fées sont à notre portée, pourvu que nous soyons attentifs : « Le mot fée signifie autre chose. C’est une qualité du réel révélé par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle. Le reflet revenu du soleil sur la mer, le froissement du vent dans les feuilles d’un hêtre, le sang sur la neige et la rosée perlant sur une fourrure de bête : là sont les fées. »
C’est une invitation à l’émerveillement, même au cœur d’une tempête qui secoue le voilier ou du froid qui saisit le chemineau. « Le merveilleux jaillit sans s’annoncer, nous confie-t-il. Il sourd du ciel, de l’eau, de la terre ou d’un visage. C’est un clignement. On le cherche, il se refuse ; on le veut saisir, il a disparu. » Tantôt sur le bateau, tantôt randonneur le long de la côte, Tesson passe d’un bord à l’autre, admirant la terre vue de la mer, et inversement. Nostalgique un peu, mélancolique sans doute, le baroudeur sait s’arrêter sur le rebord du monde : « Tout a changé dans ce monde sauf le roulement de la mer, la grandeur du ciel et la chaleur de la lumière sur la peau… » Cette gueule cassée à la suite d’une grave chute en 2014, cultive une certaine sagesse, semant quelques aphorismes à l’occasion : « J’avais traversé la France à pied car vivre, c’est s’en aller. » Ou encore « Ne rien faire est un art difficile ». On peut suivre les étapes, sur fond de musique celte et halte dans les pubs irlandais, le bateau cabote : « Naviguer consiste à passer de la lecture d’un livre à la contemplation du ciel en réglant ses voiles entre les deux. » Le voyage a connu des embûches, mais même dans la galère, il y a matière à émerveillement : « La ruine obscure, la mer en rage, le ciel en feu : c’était presque trop beau. »
Avec les fées, de Sylvain Tesson, est publié aux éditions des Equateurs.
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