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Un regard sur la banlieue

RCF, le 23 avril 2018 - Modifié le 27 février 2024
Qui sont les jeunes de banlieue ? Comment expliquer les réussites inespérées de certains sur lesquels personnes n'aurait jamais parié ? Témoignage de Claire Marin, prof de philo en banlieue.
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Casquette, jogging, baskets, rap et tours de trente étages : la banlieue trimballe avec elle son lot d’images figées, celles qui reviennent immanquablement quant est diffusé un reportage sur les cités. Associé à l’immigration, au chômage et à la délinquance ce monde à part suscite souvent la peur et les sarcasmes... Derrière les stéréotypes, il y a pourtant des visages, beaucoup de jeunes qui se battent pour vivre, pour étudier, pour travailler et pour créer...

Claire Marin est professeur de philosophie, elle a enseigné quinze ans dans les classes préparatoires aux écoles de commerce dans la périphérie de Paris. Elle publie un ouvrage sur les jeunes de banlieue, "La relève".

En premier lieu, Claire Marin s'attache à la déconstruction de clichés. "Je me suis rendue compte de la diversité des parcours, des histoires, de mes propres préjugés ! En les côtoyant, j’ai réalisé que j’étais prisonnière de certaines représentations".

L'Éducation Nationale essaie de rendre accessibles des écoles supérieures à des élèves qui n'auraient pu y avoir accès si les prépas n'étaient localisées en banlieue, par faute de moyens pour vivre en centre-ville, par exemple. Les classes de Claire Marin sont empreintes de diversité : "Les élèves y sont plus mixtes sur le plan ethnique ou religieux que dans d’autres lycées, il y a une mixité sociale, des élèves qui viennent d’endroits plus favorisés, des profils émouvants, des classes dynamiques et souvent fatiguantes ! mais attachantes".

La colère, une pulsion vitale 

"Un concentré de violence sociale, politique, affective"

Dans son livre, elle aborde une certaine colère rentrée. "Dans certaines situations extrêmes, c’est l’expression de ce qui reste de vivant en nous". Ce sont des revanches à prendre sur certaines injustices, certaines épreuves de la vie. "Les élèves sont confrontés à une multiplicité de violences, parfois familiales, des élèves qui ont fui la guerre, des histoires de maladie, de trafics, de dettes, de prison… c'est un concentré de violence sociale, politique, affective".

Certains étudiants mènent une double vie, assistant la famille dans les démarches administratives, s'occupant des petits frères et soeurs... des tâches d’adultes qu’ils ont à assumer. Leur vie d’étudiant leur permet une respiration alors qu’on imagine la prépa comme stressante. 

Le professeur, une présence pour ouvrir des possibles

Quel est le rôle du professeur dans de telles conditions? "On est parfois un peu démunis pour les aider. Notre rôle consiste à leur ouvrir des possibles, dans les représentations, leur dire tout ce qu’ils pourraient faire, et puis avant cela, les convaincre que c’est possible, qu’ils ont une chance à saisir et que ça vaut la peine. Il faut les aider à croire en eux".

Les conditions matérielles sont limitées… et limitent aussi l’innovation pédagogique. Cela donne le sentiment de lieux de seconde zone, qui entretiennent l’idée que la banlieue est marginale. "Cela a un impact sur l’image que les jeunes se construisent d’eux-mêmes"

Une fois embauchés, les élèves sont parfois déçus : désillusion sur le fonctionnement, l’hypocrisie, le vernis de bienséance… Deux logiques sont alors à l’œuvre : certains vont alors vers des entreprises vers lesquelles ils ont l’impression de percevoir un sens, d'autres veulent gagner leur vie vite et bien car ils se sont endettés pour payer l’école de commerce… "Sans compter les besoins matériels des familles. Un étudiant en banlieue peut ensuite payer l’électricité, les études dans le privé du petit frère… c'est la logique de la figure de celui qui réussit et qui rembourse sa dette à la famille".

Claire Marin aborde également la question de la religion dans son ouvrage. On a tendance à imaginer que la banlieue est le terreau de la radicalisation... Claire Marin souligne que ses élèves se sont sentis stigmatisés après les attentats. Certains ont perdu des membres de leur famille. "Pour mes étudiants, la religion a eu une importance comme soutien au quotidien et cadre de vie. La religion présente quelque chose de fixe, pour eux cet élément est important pour se construire". 

Il est temps de réviser les certitudes et les préjugés sur des territoires dans lesquels les jeunes sont soumis à de multiples difficultés... et tâchent de s'en sortir !
 

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