La révolution bolchévique d’Octobre 1917 a apporté d’énormes désillusions après les espoirs enthousiastes qu’elle avait soulevée dans les milieux artistiques.
Tout au long de cette semaine, Odile How Shing Koy a choisi de vous faire découvrir cinq poètes emblématiques de ce bouleversement. Maïakovski se tire une balle en 1930, Marina Tsvetaïeva se pend en 1941, Mandelstam meurt dans les camps du Goulag en 1938, Anna Akhmatova meurt en 1966 après avoir subi durant la plus grande part de son existence la censure du régime. Alexandre Blok se laisse quasiment mourir de désolation pour sa «patrie malade». Alexandre Blok sera victime d'une sorte de non-désir de vivre: « Le poète meurt parce qu'il ne peut plus respirer. La vie a perdu son sens», a-t-il écrit. À 41 ans, le 7 août 1921, il disparaît.
Cinq voix qui, malgré la répression refusèrent de se taire et nous rappellent que la poésie a vocation à refuser les portes fermées.
Ce lundi, vous entendrez celle d’Anna Akhmatowa – 1889- 1966, lu par Odile How Shing Koy
Née en 1889 en Crimée, Anna Akhmatova est un des auteurs russes du XXe siècle les plus lus aujourd’hui dans son pays. Son œuvre, par ses qualités, par les circonstances dans lesquelles elle naquit, a un retentissement qui dépasse toutes les frontières.Le Requiem, traduit à plusieurs reprises en français, est emblématique de cette œuvre et des thèmes récurrents qui la constituent.
Durant les grandes purges de Staline, Anna Akhmatova (1889-1966) avait perdu son mari. Par la suite, aux portes des prisons de Leningrad,la poétesse a passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Léningrad, elle attendra la libération de son fils qui subira trois incarcérations arbitraires et ne sera libéré qu'en 1956.
Son requiem,l'un de ses plus grands poèmes, écrit entre 1935 et 1940, est dédié aux femmes qui partageaient son sort.
Voici un extrait de ce long poème, lu par odile How Shing Koy
Devant cette affliction s’inclinent les montagnes,
Et suspend son cours la rivière hautaine,
Mais solides sont les enceintes des bagnes,
Derrière ces murs, comme des terriers dans ces bagnes,
Où s’enterre une mortelle peine.
Pour qui cette brise fraîche court-elle,
Pour qui ce soleil couchant et ses dorures,
Nous l’ignorons, partout les mêmes, lui ou elle,
N’entendant des soldats que les pas durs,
Et l’odieux grincement des serrures.
Nous nous levions tôt, comme pour la messe, va,
Parcourions la cité sauvage redevenue,
Nous y accueillaient, cadavres de l’au-delà,
Le soleil bas et les brumes de la Néva,
Et chantait au loin l’espérance nue.
Verdict. Les larmes aussitôt jaillissant,
De tous la voilà déjà séparée,
On lui arrache le coeur, douloureusement,
On la fait tomber à la renverse sans ménagement,
Mais elle marche...Vacille...Elle s’est redressée...
Où sont-elles à présent, mes compagnes d’infortune,
De ces deux années vouées à Satan?
Quel est leur sort, en Sibérie, neige et tempête tout une,
Que croient-elles apercevoir sur le disque de la lune ?
Je leur envoie mon adieu et mon salut d’antan.
En ce temps-là, avaient le sourire facile
Les morts seuls, de leur tranquillité jouissant.
Et Leningrad pendait comme un appendice inutile,
A ses prisons s’accrochant.
En ce temps-là, rendus fous d’être torturés,
Défilaient des régiments de condamnés,
De leurs sifflets, les locomotives avaient chanté,
Brièvement une séparation annoncé.
De funèbres étoiles au-dessus de nos têtes,
Se tordait la Russie, de tout péché pure,
Sous les bottes, de sang couvertes,
Et les roues des noires voitures.
Et les semaines fugitives de s’envoler,
Je ne puis comprendre ce qui t’arriva.
Comment sur toi, ô mon fils qu’on emprisonna
Les nuits blanches ont dû veiller,
Comme elles te veillent encore
De leur oeil ardent d’épervier,
De ta croix haute ne font que parler
Et d’évoquer la mort.
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