Faidherbe doit-il tomber ?
Après la "fête à Macron" en mai, ce samedi à Lille, c’était "La fête à Faidherbe". Faidherbe, mais il est mort, me direz-vous ? Ce n’est pas faux, il est même mort il y a 130 ans ! Mais nos villes et nos villages continuent de lui rendre hommage, avec leurs rues Faidherbe, leurs avenues, leurs boulevards, leurs places Faidherbe (j’ai moi-même fait quelques semaines de prépa dans un Lycée Faidherbe). Et c’est précisément cet hommage silencieux rendu à Louis Faidherbe, que veut dénoncer le collectif "Faidherbe doit tomber". La semaine dernière encore, à Paris, ces militants rebaptisaient symboliquement la station "Faidherbe Chaligny" en "Faidherbe ça suffit".
Pourquoi cet homme suscite-t-il une telle contestation en 2018 ? Le site faidherbedoittomber.org l’explique par le menu. Il y a d’abord une raison de circonstance : le 3 juin dernier, on commémorait les 200 ans de sa naissance… Mais surtout, Faidherbe incarne une face sombre de l’Histoire de France.
Que lui reproche-t-on exactement ? Quand il fut gouverneur du Sénégal, dans les années 1850 et 1860, on lui doit une vaste entreprise de "pacification", autrement dit, de soumission par la force à l’autorité coloniale. Dans ses correspondances, il s’enorgueillit par exemple d’avoir, "en dix jours, (…) tué 100 hommes, brûlé 25 villages et inspiré une salutaire terreur à ces populations". Au total, ses campagnes de terreur feront plusieurs milliers de morts. Il utilisera même la famine comme arme de guerre. Son objectif, au Sénégal comme en Algérie, je cite : "dominer et organiser les peuples barbares". Son idéologie civilisatrice se double d’un racisme revendiqué : il écrit par exemple que "L’infériorité des Noirs provient sans doute du volume relativement faible de leurs cerveaux." Et c’est la raison pour laquelle il font, selon lui, de bons soldats. C’est d’ailleurs lui qui met sur pied le corps d’armée dit des "tirailleurs sénégalais".
Mais à sa mort, ce colonialiste forcené pour un valeureux soldat, doublé d’un humaniste, un bâtisseur, et voilà pourquoi la nation tient tant, alors, à lui rendre hommage en nommant toutes ces rues… Faidherbe. Alors doit-on, 130 ans plus tard, les débaptiser ?
Bien sûr, on ne réécrit pas l’Histoire, mais s’il y a des épisodes de l’Histoire de France dont nous pouvons être fiers, il en est d’autres dont nous devrions avoir honte. De la période de collaboration avec le régime nazi, par exemple, nous avons honte, à juste titre, et toutes les villes - Rennes, Lyon, Montluçon, Saint-Etienne, Dijon, Tours, Béthune, Toulouse et bien d’autres - qui avaient une rue ou une place du Maréchal Pétain, les ont heureusement rebaptisées. Et bien d’autres noms de rue - Robespierre, Saint-Just, Staline, Lénine ou d’autres – font l’objet d’un débat légitime.
Mais tout se passe comme si la période coloniale, elle, faisait partie de notre fierté nationale. En tous cas, les épisodes criminels de cette histoire restent encore largement tabou. Comme si les dénoncer pour ce qu’ils sont – des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité - allait abîmer la grandeur de la France. Or c’est tout le contraire. « La colonisation avilit le colonisateur » disait Aimé Césaire. Je crois que regarder cette Histoire en face, aujourd’hui, nous grandirait. Ce qui se joue là, ce n’est pas remuer de l’histoire ancienne. C’est dire ce qui dans notre Histoire nous réunit, nous rassemble. C’est permettre à tous ces jeunes Français qui ont des racines au Sénégal, au Cameroun, en Algérie, de considérer cette Histoire, aussi, comme la leur. C’est tourner définitivement le dos, enfin, au racisme d’Etat, et refuser de traiter les personnes noires de peau comme de la chair humaine. Une exigence, malheureusement, d’une bien triste actualité.
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