Supprimer la misère
La différence entre la misère et la pauvreté ? C’est que la misère, elle, peut être éradiquée. Et c’est peut-être la plus subtile des impostures de notre temps, comme des temps passés d’ailleurs, que de substituer l’une à l’autre. Car engager le combat contre la pauvreté c’est méconnaitre que la grandeur d’un homme ne se situe pas dans l’épaisseur de son compte en banque. Méconnaitre aussi que sa dignité ne se mesure pas à son apport social. La pauvreté n’est pas en soi synonyme de détresse, elle est tout simplement la condition de notre vie. La malice du temps consiste à laisser croire que la clé du vrai bonheur est dans la possession : il nous faut toujours plus, la courbe de notre joie se mesure à l’aune de celle de notre pouvoir d’achat. Vous avez bien entendu : non pas au « savoir » ou aux « connaissances », non pas à l’ »expérience » ou au « savoir-faire », mais au « pouvoir-acheter » !
Et pendant ce temps-là, pendant que l’on s’épuise à construire un mirage, on préfère oublier ce sur quoi on peut vraiment agir, ce que l’on peut vraiment supprimer : la misère ! Et pendant ce temps-là, à Marseille des immeubles s’écroulent, et des foules toujours plus nombreuses un peu partout en France souffrent du chômage, de l’abandon ou du rejet.
Le 9 juillet 1849 à la tribune de la Chambre, Victor Hugo prononçait ces mots qui se gravent dans notre Histoire et devraient résonner au moins aussi puissamment aux oreilles des enfants de ce pays que les slogans publicitaires dont on nous gave sans limite : « Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. »
Il est là l’éternel défi lancé à chacun d’entre nous, collectivement et personnellement : renoncer à ne pas être pauvre pour extirper ceux qui y sont envasés des marais de la misère. Car la misère tue. Il faut pour cela changer les lunettes avec lesquelles nous envisageons de deviner nos vies : la condition de l’homme est de dépendre d’autrui, de ne pouvoir, seul se suffire et trouver sa joie. Sa nature est de boiter, comme le Jacob de la Bible, et de ne pouvoir avancer sans l’aide d’un bâton ou d’un bras ami. Elle est là la pauvreté véritable, c’est d’avoir besoin d’une vie qui n’est pas mienne pour exister vraiment.
Alors l’impensable devient envisageable : que l’appel de mon frère parvienne jusqu’à mon cœur et qu’il décide mes bras, mon esprit et mon corps à œuvrer pour son secours.
Appel des victimes qui enfin trouve écho dans les décisions de nos évêques à Lourdes.
Appel d’Asia Bibi qui dépasse les peurs de ses propres juges et du même coup les libère. Appel que chacun nous entendons chaque jour dans nos rues, nos places, nos familles : « Tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli » disait Hugo. Puissions-nous aujourd’hui faire notre possible pour permettre à Dieu de pouvoir ainsi manifester sa puissance.
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