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Quand la compétitivité menace la démocratie

RCF,  - Modifié le 26 mars 2018
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Compétitivité : nos responsables politiques n’ont que ce mot là à la bouche. Au nom de la compétitivité, il faut baisser les impôts des entreprises, assouplir le droit du travail, faciliter les licenciements… on connaît la musique. On peut être pour ou contre cette orientation politique. Mais il est une question que chacun doit se poser : jusqu’où nous sommes prêts à aller, nous la France, pour être plus compétitifs ?

Le pays le plus compétitif, du point de vue des entreprises multinationales, c’est celui où elles peuvent faire le plus de profits, avec le moins de risques : celui qui leur accorde le plus de droits et qui leur impose le moins de devoirs. Dès lors, quelles concessions sommes-nous prêts à faire pour séduire les grandes banques et les multinationales ? Et surtout, quelles concessions ne voulons-nous surtout pas faire ? La question n’est presque jamais posée. Elle est d’une brûlante actualité. Car la France et l’Europe semblent n’avoir fixé aucune limite. Deux dossiers en témoignent.

La transposition de la directive européenne sur le secret des affaires, d’abord. La version qui sera discutée demain à l’Assemblée nationale porterait gravement atteinte à la liberté d’informer. Au nom du sacro-saint secret des affaires, les entreprises seraient en capacité de poursuivre en justice quiconque révèle des informations gênantes pour elles… Conforama a même poursuivi le magazine Challenges parce qu’il avait osé évoquer ses difficultés financières ! Mais que devient la liberté d’expression, s’il faut garder le silence quand les pratiques ou les produits d’une entreprise posent question ? Avec une telle loi, sans doute n’aurions-nous jamais entendu parler du scandale du Mediator, de LuxLeaks ou de Lactalis ! Aussi, un grand nombre de sociétés de journalistes, d’ONG et de lanceurs d’alerte ont lancé un avertissement solennel, évoquant une « offensive sans précédent sur notre droit à l’information »[1].

Second dossier : le projet de Cour multilatérale des investissements. Mardi dernier, la France et ses partenaires européens ont donné mandat à la Commission de mettre en place une cour conçue spécialement pour protéger les investisseurs étrangers[2]. Dans la veine des projets Tafta et Ceta, il s’agit de rassurer les multinationales sur les bénéfices qu’elles feront en investissant en Europe. Par exemple, si la France ou l’Europe décidait, pour protéger le climat, de surtaxer le gaz, le pétrole et le charbon, ou, pour des raisons de santé, d’interdire le glyphosate, alors les multinationales chinoises ou américaines pourraient nous poursuivre devant ces tribunaux. Et, si ces mesures nuisent à leurs bénéfices, nous demander de les dédommager du manque à gagner. Imaginez un peu : si cela risque de nous valoir des milliards à verser à Monsanto, le législateur aura-t-il le courage d’interdire le glyphosate ? Autrement dit, derrière cette question apparemment technique, c’est tout bonnement notre capacité à adopter des lois qui est menacée !

Monsieur Macron, les discours que vous prononcez sur le climat ou les valeurs humanistes de l’Europe sont beaux et généreux. Mais au nom de la compétitivité, vous vous apprêtez à prendre des mesures qui vont dans le sens opposé. Au nom de la compétitivité, nous sommes en train d’ébranler les piliers de notre démocratie : la liberté d’information, la possibilité de changer nos lois pour améliorer les conditions de travail, protéger notre santé, notre planète… quand bien même elles ne seraient pas dans l’intérêt des multinationales étrangères… Monsieur le président, la France fière, inspirante, que vous prétendez incarner sur la scène internationale, peut-elle être un pays qui renonce à ce qu’il a de plus cher pour satisfaire la gourmandise des multinationales[3]?

[1] L’appel a été publié par Télérama, Le Monde, Libération… Cf. par ex. http://www.liberation.fr/france/2018/03/21/la-loi-sur-le-secret-des-affa.... Une pétition a été lancée à l’attention des parlementaires : https://info.pollinis.org/fr/stopsecretdaffaires/
[2] Cf. https://www.veblen-institute.org/Feu-vert-du-Conseil-au-mandat-de-negoci...
[3] Le pape François est ici encore d’une grande lucidité : « Très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information » (Laudato Si’, 54 : http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/7567-laudato-si#p54).

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