Police, de la civilisation à l'homme de paix

Voici un mot qui aujourd’hui a un sens précis mais qui a évolué au cours des siècles au point d’être souvent facteur de contresens dans les textes anciens.

Lorsque La Perouse chargé par Louis XVI de reconnaître le nord des rivages asiatiques s’exclame que la Chine "dont on vante tant la police, n’ose point s’étendre au-delà de sa muraille", on se tromperait en imaginant une admiration vouée à l’ordre. En fait, la police, aujourd’hui assimilée aux policiers en costume, renvoyait prioritairement jusqu’au XVIIIe siècle à un état de civilisation. Furetière, en 1690, souligne ainsi que le mot est opposé à la barbarie en donnant un exemple encore marqué par la récente découverte de l’Amérique : "Les sauvages de l’Amérique n’avoient ni lois, ni police…". 

En vérité la police est à rattacher au grec polis, désignant la cité et qu’on retrouve dans une mégalopole. C’est parce qu’elle obligeait en effet à vivre ensemble de manière organisée, que la ville s’assimilait à un lieu de civilisation, impliquant courtoisie et tolérance. D’où l’adjectif policé, qualifiant quelqu’un aux mœurs adoucies par la civilisation. "Tous les peuples policés ont été sauvages" s’écrit sans hésiter l’abbé Raynal dans son Histoire philosophique et politique au XVIIIe.

Dès le XVIIe, le mot police commence à se dire plus "plus particulièrement de l’ordre qu’on donne pour la netteté & sûreté d’une ville". "Il y a à Paris, ajoute par exemple Furetière, un Officier Lieutenant Général de Police, 48 Commissaires". Et Richelet, en 1680 de conclure l’article consacré à la police par un exemple rassurant : "La Police de Paris est fort bonne". Quant au nom "policier", inutile de le chercher, il ne s’y trouve pas : le "policier", "membre de la police" n’est en fait attesté dans notre langue qu’en 1753, et si l’on piste la famille signalons que le "roman policier" n’y entrera qu’en 1908, dans le sillage de Gaston Leroux, suivi de près par le "chien policier" attesté en 1911.

Il faut attendre 1970, pour évoquer les femmes-policiers, et 1988 pour que la policière entre dans le Petit Larousse. En France on aime notre police, mais Flaubert le faisait déjà remarquer au XIXe, dans son Dictionnaire des idées reçues, c’est presque une tradition, mauvaise à mon sens "police : écrit-il, a toujours tort !" Mais quand on crie "au secours", on compte évidemment sur elle !