Pendant les Trente Glorieuses, la question ne se posait pas : l’objectif, c’était la croissance. Elle était au rendez-vous et de fait, les conditions matérielles d’une grande majorité s’amélioraient. Il fallait que le monde entier en profite ! N’étais-je pas moi-même abonné à un magazine qui avait pour titre « Croissance des jeunes nations » ? Alors à cette époque, il n’y avait pas grand monde pour critiquer la croissance.
Seules quelques voix prophétiques alertaient sur le fait que notre monde faisait fausse route. Ces « objecteurs de croissance » disaient que faire croître le P.I.B., le Produit intérieur brut, n’était pas synonyme de croissance du bien-être. Car le P.I.B., n’accorde aucune valeur à tout le travail qui n’est pas rémunéré (élever ses enfants, prendre soin de ses parents âgés, s’engager dans des associations…). Il ne dit rien non plus des inégalités, ni de la qualité des relations humaines. Et puis, pour le P.I.B., l’environnement n’existe pas. Que le climat se dégrade, que l’eau potable et les métaux s’épuisent, que des milliers d’espèces soient rayées de la surface de la Terre, tout cela n’a aucune importance pour le P.I.B.
Depuis, les choses ont bien changé : les plus grandes institutions internationales ont donné raison à ces voix jadis minoritaires. A la demande de Nicolas Sarkozy, une commission d’économistes, dont les « prix Nobel » Amartya Sen et Joseph Stiglitz, rendaient en 2008 un rapport sur les limites du P.I.B. A la même époque, la Commission européenne réunissait un grand raout intitulé « Au-delà du PIB », et l’OCDE et la Banque mondiale elles aussi en reconnaissaient les graves lacunes et proposaient des indicateurs alternatifs.
Mais c’est ici que réside notre étonnement : si tout le monde est d’accord, depuis dix ans, pour dire que le P.I.B. mène notre monde dans l’impasse, pourquoi continue-t-on à en faire la boussole de nos économies ? La semaine dernière encore, on scrutait les prévisions de croissance - 1,8, ou 1,9% ? – comme s’il s’agissait de la température d’un enfant fiévreux. La situation confine à l’absurde. Alors dans le dernier numéro de la Revue Projet, nous avons cherché à comprendre. On a découvert qu’on ne manquait pas d’indicateurs alternatifs au PIB, mais qu’on ne s’en servait quasiment pas. Par exemple, depuis 2015 et la loi Sas, les parlementaires français sont censés disposer de nouveaux indicateurs de richesse.
Mais cette année, le gouvernement a oublié de les leur communiquer… Dommage, non ? En revanche, nous avons eu l’heureuse surprise de découvrir que tout un tas de collectivités locales, de Jacksonville aux États-Unis à Grenoble, en passant par la Gironde, avaient pris les choses à bras le corps, et choisi de changer de cap en s’appuyant sur des indicateurs de bien-vivre. Et ça, c’est une bonne nouvelle.
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