Ne soyons pas "confits en sucre"

Ce n’est pas moi qui parle. C’est le pape. Le pape émérite, Benoît XVI. Celui qu’on ne trouvait pas drôle. Il prononce ces phrases déconcertantes le jour de son anniversaire, en avril 2012. Un pape déclarant, le jour de son anniversaire, que la vie n’est peut-être pas un cadeau. Quelle audace ! Quel risque !

Jamais croyant n’était allé aussi loin. Jamais pape n’avait refusé avec autant de fermeté les solutions magiques, celles qui voient du sens à tout, qui chantent avec les hirondelles, et qui font de tout échec un nouveau printemps, l’occasion de « rebondir », de se grandir. Un pape qui ose affirmer que la vie est peut-être « un cadeau empoisonné », parce que l’avenir est incertain, que des lumières peuvent s’éteindre, des bonheurs reculer et des existences s’abîmer. Quelle témérité !

En plein cœur du carême, je me prends à rêver que ce soit des paroles aussi justes, aussi audacieuses, aussi près de nos vies, aussi près de nos matins et de nos réalités, qui nous soient adressées. Pas des mots convenus, des pirouettes ou des subtilités de conférencier, mais de l’audace, de la force. De quoi nous armer pour les tempêtes, de quoi nourrir nos disettes. Des discours certes, mais des discours qui ne murmurent pas, qui ne cherchent pas à faire joli, qui ne sont pas convenus, qui ne font pas de subtilités inutiles. Des discours qui ne se contentent pas d’affirmer à chaque virgule notre « vulnérabilité » et nos « fragilités », mais des discours forts, de chair et de sang, pas de papier et de vent.

L’athée tonitruant que fut Nietzsche voyait dans le christianisme un pourvoyeur de joies doucereuses, sans vigueur ni témérité. Mais il n’avait pas lu certaines grandes pages de la littérature chrétienne. Il n’avait pas lu François de Sales, par exemple, qui met en garde contre un christianisme qui serait « confit en sucre » – ce sont ces mots – un christianisme qui appâterait comme du « miel » – ce sont toujours ces mots – mais qui ne tiendrait pas au ventre.

Alors, pendant le carême, ne soyons pas « confits en sucre », soyons l’âme forte, audacieuse et téméraire.