Dans la pièce de théâtre "Huis clos", Jean-Paul Sartre dit que l’enfer, c’est les autres. Ne serait-ce pas plutôt l’absence de l’autre, ce sentiment d’abandon vécu par ceux qui découvrent que, finalement, ils ne comptent pas ou si peu. Quelle attention est témoignée aux personnes âgées. Nombre d’entre elles sont entrées dans des maisons de retraite qui, si elles diminuent les effets de la dépendance, entraînent brutalement le retrait de la vie sociale.
Au sein même de ces établissements, désignés par l’acronyme peu engageant EHPAD, la vie est faite d’attentes : la toilette, le repas, les visites trop brèves et espacées, puis finalement le tragique, la mort appréhendée comme une fin, sans trace de l’infini. Le temps des soins est celui de la précipitation, insupportant fort justement les aides-soignants. Il ne saurait être question de leur en faire grief ; ils pallient les insuffisances des effectifs comme ils le peuvent, au prix d’un empressement mettant à distance le temps de la tendresse ; ils souffrent de ce travail à la chaîne qu’ils considèrent comme un manque de respect pour ceux qu’ils soignent et pour eux-mêmes.
L’angoisse que vivent des résidents ne se libère que par l’écoute et une attitude juste pour trouver les mots qui apaisent. Le rythme, avec les années, est devenu plus lent mais ce n’est point une surprise. Alors pourquoi ce « facteur temps » est-il rayé pour consentir à ce que les toilettes soient réalisées en sept ou huit minutes, faute de soignants suffisants. Le moment des repas est attendu. D’aucuns souhaiteraient participer à la préparation, mais les normes ne l’autorisent pas Si le résident est servi, que de fois il s’interroge : "A quoi, je sers". L’inutilité s’ajoute au sentiment d’être une charge.
Les visites, certains résidents n’en ont pas ; alors s’installe un effacement où la finitude s’engouffre dans l’habitude glaciale de l’oubli, constatant que la société ne prête attention qu’aux forces vives. L’homo economicus se déploie dans l’alibi : "Je n’ai pas le temps". Plus progresse la conviction que le temps est compté â entendez je compte â davantage diminue la vigilance à l’égard des aînés qui ont tout le temps, parce que précisément leur temps se termine.
La société n’aime pas ce qui finit. Terrible, ce constat de l’importance de soi, une variable d’ajustement pour occulter l’isolement de ceux-là mêmes qui, pourtant, nous ont permis d’être là où on est et là où l’on en est. L’isolement s’aggravant avec le manque de ressources et la perte de la santé disparaît progressivement l’estime de soi. La personne se détruit avant même que la mort l’ait engloutie. Que de regards se perdent vers de vagues horizons, faute d’être regardés.
La solitude, à tous les étages, est partagée par les résidents et les soignants, chacun étant blessé par le peu de cas qui lui est réservé. Au plus haut niveau de l’Etat, l’exigence d’une reconnaissance de leur statut est considérée comme juste. Les promesses ne sont toujours pas au rendez-vous.
Comment ne pas rappeler que les grèves dans les maisons médicalisées, très rares, se traduisent par un simple signe, un brassard. Le refus des soignants de quitter les résidents témoigne de leurs responsabilités et du sens de la fragilité, signe du respect porté aux patients.
Quelle iniquité de ne pas être plus vigilants à l’égard de ceux qui exercent dans l’ombre une profession apportant une lumière de vie à ceux qui voient s’éteindre la leur. A l’heure du grand débat, il convient que leur statut soit revisité, tout comme celui de la personne dépendante. Soignés et soignants font corps. Les dotations promises doivent faire l’objet d’une priorité quant à leur libération ; il serait également judicieux que les bénévoles - en nombre insuffisant - bénéficient d’un statut d’intérêt général.
Aucune vie n’est inutile. A regarder les visages les plus ridés, il est possible de lire en creux les combats menés pour quitter les inessentiels laissant place à la grâce du plus vital. Ces maisons du soir de la vie doivent devenir des écoles de la vie ; ne les désertons pas.
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