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Fin de mois et fin du monde

RCF,  - Modifié le 15 janvier 2019
Dans son édito Véronique Margron revient sur les mots de Nicolas Hulot lors de sa démission.
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Il y a quelques mois maintenant, Nicolas Hulot distinguait, dans un propos, fin du monde et fin de mois. Formule qui a rencontré un écho considérable car elle paraît indiscutable et est limpide. Elle a d’ailleurs été reprise par toute la classe politique. Parler de ses problèmes de fin de mois parait alors peu de chose que l’on évoque la fin du monde ! Et à quoi bon avoir encore de l’argent à la fin du mois si le monde est condamné à disparaître demain. Articuler question sociale et menaces écologiques est bien un de nos dilemmes.

Il y a pourtant un rapport entre fin du monde et fin de mois. Depuis toujours les croyances apocalyptiques sont surtout des croyances de pauvres, car ceux qui peinent au jour le jour ont déjà une certaine expérience de l’apocalypse.

Pierre Bourdieu, cité par le philosophe Michael Foessel, a explicité ce phénomène à partir d’études effectuées dans les favelas du Brésil. Il s’est demandé pourquoi "les plus pauvres des pauvres étaient aussi ceux les plus susceptibles d’attendre la fin du monde". Le sociologue montre alors que le manque de reconnaissance sociale forge des "individus sans avenir". Pour tous ceux qui sont installés dans la vie, celle-ci est rythmée par des impératifs d’emploi du temps qui font qu’ils sont attendus quelque part, par quelqu'un. Sans doute vivons-nous cela comme une contrainte, mais tous ces qui n’ont pas ces contraintes, ou qui sont harassés par un travail peu gratifiant, ne se sentent attendus nulle part. Leur attente angoissée est alors bien centrée vers la fin du jour, de la semaine, du mois. C’est pourquoi, continue Bourdieu, les habitants les plus pauvres craignent moins la fin du monde que ceux qui sont installés dans la vie. "Quand rien n’est vraiment possible, tout devient possible ; tous les discours sur l’avenir, prophéties, prédications, annonces millénaristes n’ont d’autres fins que de combler un des besoins les plus douloureux : le manque d’avenir".
 
Ainsi, pour entendre qu’il est impératif que nous changions notre monde et sa consommation débridée pour le sauver, il faut avoir le sentiment de pouvoir faire quelque chose. Pour les autres, mieux vaut que ce monde disparaisse, pensent-ils.
 
Alors à nos places au moins, soyons avant tout acteur et facteur de connaissance, si nous voulons enfin lier justice sociale et obligation écologique.

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